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elles étaient en ce temps-là rendues. La cour se composait d’un président qui était M. Deval, l’ancien consul de France, d’un vice-président, l’ancien vice-consul, et de deux juges, l’un, ancien contrôleur au théâtre de la Porte-Saint-Martin, l’autre, interprète attaché à l’armée. Quant au tribunal de police correctionnelle, M. Roland de Bussy, commissaire général de police, président, avait pour assesseurs un ancien agent du service des douanes et un jeune négociant qui, ayant fait à Paris de mauvaises affaires, était venu chercher fortune en Afrique ; des trois c’était le seul que l’opinion tint pour capable.

Après tout, les juges étaient proportionnés aux justiciables. Il est certain que le personnel d’aventure qui avait suivi l’armée en Afrique n’était pas fait pour donner aux indigènes une grande idée de la nation française. Il appartenait en général à la catégorie peu estimable qui, dans ce jargon des ports de la Méditerranée qu’on appelle la langue franque, était désignée par le mot de mercanti. Les cantiniers, les cabaretiers, les brocanteurs y tenaient la plus grande place. Vingt jours après la prise d’Alger, dans la rue Bab-el-Oued on pouvait trouver un restaurateur, un hôtel de Malte dans la rue de la Marine ; dans la rue des Consuls, un hôtel des Ambassadeurs ; sur des toiles flottantes, on lisait ici l’enseigne d’un débit de vin, là celle d’une boutique de charcutier, plus loin l’annonce d’un dépôt des excellentes conserves d’Appert, etc. Ces prémices de la civilisation n’étaient pas précisément celles que le général Clauzel s’était flatté d’apporter aux Algériens ; la seule vraie colonisation, la colonisation agricole, était son rêve. A son instigation, le commissaire du roi, maire d’Alger, M. Cadet de Vaux, travaillait à la formation d’une société qui aurait à exploiter, sous le nom de ferme expérimentale d’Afrique ou de ferme modèle, un domaine de 1,000 hectares à prendre sur les bords de l’Harrach.

Le 26 septembre, à la pointe du jour, une petite expédition se mit à la recherche de cette terre promise. L’agha Hamdan daigna s’y joindre. Ce riche négociant maure, très mal choisi pour imposer le respect aux Arabes, — car il était d’une race et d’une profession qu’ils tenaient en petite estime, — n’en était pas moins, aux yeux des Européens, un curieux personnage. Très bel homme et bon cavalier, il montait un cheval superbe, harnaché comme son maître était vêtu, avec la dernière magnificence. Le velours de la selle turque, le drap des fontes disparaissaient sous l’éclat des broderies d’or ; les étriers, longs et larges, étaient dorés ; le fourreau du yatagan était en or ; les crosses des pistolets, garnies en argent, étaient incrustées de pierres précieuses en cabochon. Cinq cavaliers marchaient devant lui, portant ses drapeaux ; six autres le