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au pillage ; malgré la défense du général, des maraudeurs s’y étaient glissés dans l’ombre ; soldats, zouaves, Kabyles, juifs, confondus, défonçant les portes, éventrant les boutiques, s’injuriant, se menaçant, se disputant le butin, tous ces pillards poussaient de telles clameurs qu’au quartier-général on crut d’abord que l’ennemi était rentré dans la ville. Le grand-prévôt et ses gendarmes, l’agha et ses chaouch eurent beau intervenir : le désordre ne cessa pas de tout le jour.

Au dehors, le général Clauzel avait donné l’ordre de balayer les environs de la place. Dans la plaine, à droite de la route de Médéa, une charge des chasseurs, soutenus par le 14e, dispersa les Arabes ; dans la montagne, le 20e, le 37e et deux compagnies du 28e s’engagèrent par petites colonnes sur le territoire des Beni-Sala, brûlant tout, détruisant tout : c’était l’ordre. Tous les hommes armés saisis, soit dans la ville, soit aux alentours, étaient amenés au grand-prévôt et fusillés sans merci. Le soir venu, tandis que, sur une étendue de 3 kilomètres, les flammes éclairaient en rouge les grands bois et les jardins, les chênes verts et les oliviers, les orangers et les myrtes, tandis que tambours et clairons rappelaient au bivouac les colonnes qui avaient allumé l’incendie, on vit des groupes de fugitifs, précédés d’un drapeau blanc, sortir des gorges, les enfans en tête, et demander grâce. Bientôt le moufti et les notables de Blida se présentèrent au quartier-général, faisant leur soumission, maudissant les Kabyles qui les avaient contraints à se battre. Le général Clauzel leur permit de rentrer dans leurs maisons dévastées. Comme il ne voulait pas laisser derrière lui sans garde une ville qui venait d’inaugurer avec une telle audace la résistance aux Français, il y établit le colonel Rullière avec le 34e, le 35e et deux pièces d’artillerie.

Le 20 novembre, à six heures du matin, l’armée, diminuée de la garnison de Blida, se remit en marche. Elle s’avançait au sud-ouest, côtoyant l’Atlas, dans un pays inculte, obstrue de broussailles, de buissons d’épines, de genêts, de palmiers-nains ; vers onze heures, elle s’arrêta sur la crête orientale d’une large et profonde coupure aux berges escarpées, ancien lit d’un puissant fleuve qui roulait, entre des rives distantes de 400 mètres, ses eaux maintenant abaissées, réduites, comme perdues dans ce vaste espace, cédant aux envahissemens des lentisques et des lauriers-roses les neuf dixièmes de leur antique domaine, presque toujours et presque partout guéables, célébrées cependant encore comme une des plus importantes rivières de l’Algérie : c’était la Chiffa. Les fantassins n’eurent pas les genoux mouillés. A deux heures, l’avant-garde atteignit une grande ferme nommée Haouch-Mouzaïa, ou