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encore Haouch de l’agha d’Oran. C’était là que le sentier suivi depuis Blida tournait brusquement et se dirigeait droit sur la montagne. On fit halte ; toutes les troupes reçurent une distribution de vivres et de vin. L’état-major délibérait. Quelle était la nature du terrain et quels étaient les obstacles qu’on allait avoir à franchir ? Les renseignemens fournis par les indigènes étaient contradictoires ; néanmoins, comme les plus vraisemblables étaient ceux qui donnaient le plus à réfléchir, le général Clauzel décida qu’on n’irait pas plus loin ce jour-là, sauf la brigade Achard, qui alla prendre son bivouac à 3 ou 4 kilomètres en avant, dans un bois d’oliviers, sur le versant de l’Atlas. Des cheikhs de Mouzaïa et de Soumata vinrent annoncer que le bey de Titteri se préparait à défendre le Ténia ou col qu’il fallait traverser pour descendre à Médéa, mais que, pour eux, ils se tiendraient paisibles si on leur donnait des burnous ; on leur donna des burnous. Comme les voitures de l’artillerie et du train ne pouvaient pas aller plus avant, faute de route, elles furent parquées dans la grande cour de la ferme ; l’agha profita de cette disposition pour s’y arrêter pareillement et dresser ses tentes sous la protection du 21e chargé de garder l’artillerie et les bagages. Les pièces de montagne, les munitions de guerre et de bouche allaient suivre, portées par les mulets de bât, la colonne combattante.

Le 21 novembre, après la diane, l’ordre du jour qui suit fut lu à toutes les troupes : « Soldats, nous allons franchir la première chaîne de l’Atlas, planter le drapeau tricolore dans l’intérieur de l’Afrique et frayer un passage à la civilisation, au commerce et à l’industrie. Vous êtes dignes, soldats, d’une si noble entreprise ; le monde civilisé vous accompagnera de ses vœux. Conservez le même bon ordre qui existe dans l’armée ; ayez le respect le plus grand et le plus soutenu pour les populations partout où elles seront paisibles et soumises ; c’est ce que je vous recommande. Ici, j’emprunte la pensée et les expressions d’un grand homme, et je vous dirai aussi que quarante siècles vous contemplent. »

On se mit en mouvement ; quand on eut rejoint la brigade Achard, elle prit la direction de la marche, le 14e en tête. Derrière elle venait la batterie de montagne, puis la brigade Duzer, la cavalerie, les mulets, enfin la moitié de la brigade Hurel, l’autre moitié ayant été laissée avec le colonel Rullière à Blida. Du haut des mamelons dont l’armée côtoyait la base, des groupes de Kabyles, sans armes apparentes, regardaient passer la colonne qui s’allongeait et s’amincissait à mesure que le sentier devenait plus étroit et plus abrupt. Après deux heures de marche, l’avant-garde déboucha tout à coup sur un large plateau d’où le regard émerveillé embrassait la vaste étendue de la Métidja et découvrait à l’horizon le bleu