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profond de la mer. En avant des bataillons massés face au nord, le général Clauzel fît saluer la France d’une salve de vingt-cinq coups de canon. Pendant que l’avant-garde se reformait, les généraux prenaient ensemble le repas du matin ; depuis ce jour-là, ce ressaut de l’Atlas a gardé le nom de plateau du Déjeuner.

L’ascension continuait, de plus en plus rude ; à droite, la colonne longeait un ravin étroit, profond, un abîme d’où montait le fracas d’un torrent ; à gauche se dressait une montagne dont les flancs mamelonnés, rongés par les eaux, semblaient refuser place au sentier qui les contournait. A midi, la marche fut arrêtée par une coupure au-dessus de laquelle une passerelle était jetée la veille encore ; on en voyait les débris fraîchement abattus. Dès que les sapeurs du génie eurent à peu près rétabli le passage, une compagnie du 14e se porta en avant. Un coup de feu retentit ; c’était le premier. À ce signal, tous les Kabyles paisibles, qui semblaient venus comme pour un spectacle, se dressent le fusil en main ; ces Soumata, ces Mouzaîa, dont les cheikhs s’étaient si bien fait donner des burnous, commencent à tirailler, sur les flancs et sur les derrières. En même temps, les gens du bey se massent contre l’avant-garde. Contenir l’ennemi de front, débusquer l’ennemi de gauche en s’élevant résolument sur les mamelons qu’il occupe, c’est l’unique manœuvre que permette la nature du terrain. Gardant ce qu’il faut bien nommer par convention la route avec le 37e, le général Achard donne au 20e, au 28e, au 14e, sous les ordres du colonel Marion, les mamelons pour objectif. Le ravin de droite, plus voisin de son origine, est à cet endroit-là moins inaccessible ; avec des peines infinies, une compagnie du 37e, conduite par le capitaine Lafare, descend au fond de l’abîme, escalade l’autre berge et, surgit devant les Soumata qui, ayant un tel fossé devant eux, se croyaient à l’abri de toute attaque ; cependant, quand ils ont compté le petit nombre de braves qui viennent à eux, ils se rassurent et s’efforcent par un feu soutenu de les rejeter dans le précipice ; le capitaine tombe glorieusement percé de plusieurs balles ; le sous-lieutenant est grièvement blessé ; mais un obus passe en sifflant au-dessus de sa tête ; il éclate au milieu du gros des Kabyles ; un second le suit avec une précision égale ; c’est une section de la batterie de montagne qui tire de l’autre côté du ravin ; la compagnie du 37e est dégagée, l’ennemi fait retraite, et désormais le flanc droit de la colonne a cessé d’être inquiété. De l’autre côté, les bataillons détachés par le général Achard ont eu grand’peine à s’élever jusqu’aux sommets, dont les défenseurs font pleuvoir sur eux une grêle de balles. Pour animer ses hommes qui lentement gravissent les pentes, le colonel Marion fait battre la charge ; à ce signal qui fait vibrer son cœur de vieux soldat, le général Achard s’imagine