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creuses ; des rues plus larges, surtout moins tortueuses, toutes bordées d’un petit trottoir. De même au dehors. On est ici à plus de 900 mètres au-dessus de la mer, plus d’agaves, plus de cactus, ni d’orangers, ni de grenadiers, ni même d’oliviers ; des baies d’épine autour des jardins ; de grands enclos plantés de vignes ; une végétation tout européenne. La ville avait cinq portes ; les deux principales, l’une près de l’aqueduc, l’autre à l’extrémité opposée de la grand’rue, étaient surmontées chacune d’une batterie de longues coulevrines à l’écusson d’Espagne. A l’intérieur, outre les mosquées, il y avait une caserne de janissaires, une Kasba qui ne paraissait être qu’un grand magasin, et le palais du bey, où fut installé le quartier général. C’était une grande construction carrée, d’une assez beau style moresque, doublée d’une autre moins élégante et plus petite ; toutes deux avaient été démeublées ; mais dans plusieurs pièces, il était resté de vieux tapis, des peaux de mouton, de gros écheveaux de laine, et surtout d’énormes tas d’orge et de blé, avec des sacs de couscoussou et de grandes jarres remplies de viande de mouton conservée dans la graisse. La population de Médéa ne dépassait pas six ou sept mille âmes, dont un millier de Turcs et de coulouglis ; les autres étaient Maures, les Juifs peu nombreux. Ces gens-là paraissaient braves et charmés d’être débarrassés de la domination turque. Dans la matinée du 23 novembre, une centaine de cavaliers se montrèrent à deux kilomètres environ au sud-est, avec le dessein évident de s’établir dans un grand haouch qui était la maison de campagne du bey ; aussitôt, les hommes de la ville sortirent en armes et allèrent s’embusquer dans les jardins pour tenir les maraudeurs kabyles à distance. Peu après, les voltigeurs du 14e, soutenus par le 37e, se portèrent sur l’haouch au pas de course et eurent bientôt fait d’en déloger l’ennemi ; celui-ci, toutefois, avait eu le temps de tout piller ; mais il restait beaucoup d’orge et surtout une grande quantité de paille, trouvaille précieuse, car dans ce pays il y avait disette de fourrage. Les positions des troupes furent rectifiées ; la brigade Hurel se rapprocha de la ville, et le général Achard établit son quartier dans le Versailles du bey ; de fait, c’était plus qu’un haouch ; il y avait d’assez belles chambres, de belles cours entourées d’arcades, partout de l’eau en abondance ; dans les jardins, quelques oliviers, les seuls qui existassent alors aux environs de Médéa.

Le général Clauzel avait l’imagination vive, ardente, non pas rêveuse, mais toujours en rêve ; il était optimiste comme la jeunesse, et, comme la jeunesse aussi quand elle n’est pas timide, car c’est tout l’un ou tout l’autre, confiant à l’excès en lui-même. Un événement non prévu vint comme à point pour justifier sa