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la Bouzaréa ; cinquante hommes d’infanterie lui serviraient d’escorte un peu plus loin que Blida. En vingt-quatre heures, avec un peu de diligence, il pourrait être à Alger. Le retour, plus lent, puisque les hommes auraient à ramener en main les chevaux chargés de cartouches, se ferait sous la protection du second bataillon du 20e appelé à rejoindre le premier à Médéa. Quand le général Clauzel fit connaître ce dispositif au lieutenant-colonel Admirault, commandant l’artillerie de l’armée, celui-ci fut frappé du danger qu’allait inévitablement courir au milieu de la Métidja un détachement si faible : « Puisque vos artilleurs ne sont bons à rien, lui dit avec humeur le général, vous n’avez qu’à vous en aller avec eux. » Des observations furent faites par quelques officiers au général Delort, qui refusa de les transmettre à son chef. L’ordre fut dépêché tel quel au capitaine Esnaut. En fait d’argent, les officiers du corps expéditionnaire vidèrent leurs bourses comme les soldats avaient vidé leurs gibernes ; mais cette espèce de cotisation ne suffisant pas aux dépenses probables de Médéa, on fut obligé d’emprunter à l’ex-bey Bou-Mezrag tout ce qu’il avait de boudjous pour une valeur de neuf à dix mille francs. Enfin, quant aux vivres, comme il ne s’était trouvé dans les magasins du beylik que du biscuit avarié et quelques sacs de couscoussou, on fit fabriquer tant bien que mal du pain d’orge où la paille ne manquait pas ; le seul produit abondant était un vin blanc très agréable dont les soldats se régalaient au prix de neuf sous le litre.

Le 26 novembre, à la pointe du jour, la colonne, réduite à quatre bataillons, se mit en marche, le général Hurel d’abord, puis l’état-major à la suite duquel venaient Bou-Mezrag, ses enfans et ses janissaires, entourés de gendarmes, puis le convoi, puis le général Achard ; la cavalerie à l’arrière-garde. Les hommes emportaient six rations de vivres, trois pour eux-mêmes, trois pour les camarades de la brigade Duzer, qui, laissés depuis cinq jours au Ténia, devaient mourir de faim ; les rations se composaient de vieux biscuits, de gros pain d’orge et d’un peu de viande cuite. La colonne n’eut pas un seul coup de fusil à tirer ; partout, sur son passage, les Kabyles avaient arboré de petits drapeaux blancs. À midi, on arriva au col : depuis deux jours, la brigade Duzer ne vivait guère que de glands doux cuits dans la cendre ; on n’avait pu se procurer que quelques poules dont on avait fait du bouillon pour les blessés. Après deux heures de halte, la marche fut reprise. Inébranlable dans son optimisme, le général Clauzel prescrivit au général Duzer de garder la position en se préparant à partir pour Miliana le lendemain matin. À la nuit tombante, la colonne atteignit la Ferme de l’agha. Les nouvelles qu’on y trouva étaient mauvaises : la