Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retour, les marchés d’Alger avaient été déserts ; ceux des indigènes qui n’avaient pas pris les armes contre les infidèles auraient eu honte de trafiquer avec eux. Dès le lendemain, ils reparurent : les infidèles avaient montré qu’ils étaient les plus forts.

Que devenait cependant la garnison de Médéa, presque sans munitions, presque sans vivres ? Plus inquiet d’elle qu’il ne lui convenait de paraître, le général en chef trouva un ingénieux moyen de lui faire passer des cartouches : on en fit des ballots qu’on chargea sur douze mulets, et, comme si c’eût été des marchandises expédiées par les commerçans d’Alger, on confia, selon la coutume, à des muletiers arabes le soin de les conduire ; de sorte que le précieux convoi, grâce à l’ignorance de ceux qui le conduisaient et de ceux qui le voyaient passer, finit par arriver à bon port. Convoi bien précieux, en effet, car bien des coups de fusil avaient été tirés autour de Médéa pendant trois jours.

La ville, occupée par le 20e, protégée par son mur d’enceinte et par les quelques pièces de canon qu’elle possédait, avait moins à craindre d’une attaque des Kabyles que la Ferme du bey. Celle-ci, où s’étaient établis le bataillon du 28e et les zouaves, fut mise par les sapeurs du génie qu’on leur avait adjoints en état de défense ; les murs furent crénelés, des tambours en pierre sèche élevés pour couvrir les portes et flanquer les points les plus faibles de son enceinte. Dès le 26, peu d’heures après le départ du corps expéditionnaire, des cavaliers étaient venus reconnaître la position et les travaux des Français ; le soir, des feux avaient paru dans la montagne. Le 27, dès le matin, des bandes nombreuses en descendirent ; à onze heures commença l’attaque, d’abord un peu molle, puis de plus en plus sérieuse. L’intention évidente des Kabyles était de couper les communications entre la ville et la ferme ; une sortie, vivement exécutée sur leur flanc par deux compagnies du 20e, que guidaient des habitans armés de Médéa, et secondée par un mouvement analogue du 28e et des zouaves, déjoua la tentative de l’ennemi et le refoula dans ses ravins. La nuit fut tranquille, mais le nombre des feux s’était notablement multiplié. Le 28, l’affaire s’annonça chaude, surtout autour de la Ferme. Les avant-postes d’abord, puis deux compagnies de soutien, durent se replier ; aussitôt des tirailleurs kabyles se jetèrent dans les maisons qui venaient d’être évacuées et se servirent avec intelligence des créneaux qu’y avait pratiqués la défense. Un capitaine du 28e, qui voulut les reprendre se fit inutilement tuer avec quelques hommes. Le commandant Delannoy tenait sa petite troupe embusquée, partie derrière les berges des chemins, partie derrière des épaulemens élevés à la hâte ; mais, de temps à autre, il en fallait sortir pour rouvrir la communication,