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tout en colère ; je suis morfondu, et je n’ai pas trouvé à la porte un adjudant de place pour me conduire à mon logis ! » On l’apaisa, on le fit manger et boire, et il reprit sa bonne humeur. Le général Duzer n’arriva que le lendemain matin, à la tête de sa brigade, qu’il était parvenu à rallier. Pendant deux jours encore, le temps fut horrible ; enfin, le 12 au matin, la pluie parut cesser. Les vivres diminuaient ; le général Boyer avait hâte de partir. Il laissait au général Danlion le 20e et le 28e, reconstitués chacun à deux bataillons, le bataillon de zouaves au complet, un personnel proportionné d’ad-ministration, un matériel d’hôpital, deux obusiers de montagne, quelques centaines de fusils pour armer les gens de Médéa, un gros approvisionnement de poudre et de cartouches.

La colonne se mit en marche, la brigade Duzer en tête, les bagages au milieu, la brigade Achard derrière. L’avant-garde, arrivée au col vers quatre heures, s’y arrêta pour passer la nuit ; les autres s’établirent au-dessous. Tout à coup, la bourrasque éclate, vent furieux, pluie et grêle ; le thermomètre tombe à 2 degrés ; on entend les anciens, comme le général Achard, rappeler les souvenirs de Russie, de Moscou, de la retraite ; les feux s’éteignent ; les hommes, les chevaux ont sur le dos deux pouces de neige. Dès la pointe du jour, le 13, on s’empresse de quitter cet odieux bivouac ; mais le sentier est plus que jamais glissant et scabreux ; les chevaux, les ânes, les mulets n’ont plus le pied sûr. « Ces coquins de Bédouins, dit un officier, pourraient bien profiter de la circonstance pour nous faire beaucoup de mal. — Soyez tranquille, mon capitaine, répond un voltigeur ; leurs fusils ne partiront pas mieux que les nôtres, et s’ils osent remuer, nous nous char-geons de les enfoncer à la baïonnette. » Les bagages mirent quatre heures à défiler ; pendant ce long temps, la brigade Achard demeurait l’arme au bras, attendant son tour ; elle ne put arriver à la Ferme de l’agha qu’à la nuit tombante. Le lendemain, on s’attendait à rencontrer dans la Chiffa un obstacle infranchissable ; à peine l’eau y était-elle un peu plus haute que naguère, au 20 novembre. Le dernier incident du retour fut le plus douloureux : au bivouac de Sidi-Haïd, on trouva les tombes des malheureux canonniers fouillées, bouleversées par les fauves ; il fallut enterrer plus profondément ces tristes restes, lamentable témoignage de la férocité des Arabes et de la voracité des chacals.


IV

Les illusions du général Clauzel allaient recevoir une nouvelle atteinte. En Europe, la révolution de septembre à Bruxelles,