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succédant à la révolution de juillet à Paris, menaçait d’entraîner à sa suite la guerre générale. Pour faire tête à l’orage, le gouvernement français avait besoin de toutes ses forces ; le rappel de l’armée d’Afrique, sauf une dizaine de mille hommes, était décidé. Instruit de cette grande résolution, le général essaya de suppléer à la réduction imminente des troupes régulières par l’institution d’une force locale. Les zouaves avaient prouvé qu’ils étaient capables d’un bon service ; mais le recrutement lent et difficile avait peine à maintenir le niveau du premier bataillon ; le second n’avait toujours qu’une existence nominale. Malgré le zèle et les belles promesses de Jusuf, nommé par le général en chef capitaine aux chasseurs algériens, l’escadron du commandant Marey, qui avait atteint un moment le chiffre de quatre-vingts cavaliers, était misérablement retombé à trente. Cependant le général Clauzel ne désespérait pas ; son idée favorite était d’organiser en garde nationale algérienne tous les hommes valides, Français, étrangers, musulmans, juifs même. A l’exécution, l’entreprise ne dura guère ; un essai de scrutin pour l’élection des officiers la fit tourner en ridicule ; il n’en fut plus parlé qu’en moquerie, et, morte avant d’être née, elle s’abîma dans une fin piteuse.

Quels qu’aient été les rêves du général Clauzel, ses mécomptes et ses fautes, c’étaient, — il n’est que juste de lui en faire un titre, — les rêves d’un patriote convaincu que l’honneur commandait à la France de garder Alger et d’étendre sa souveraineté sur toute la régence. Longtemps avant d’avoir reçu les ordres qui, réduisant des deux tiers ses moyens d’action, le mettaient hors d’état de faire des conquêtes, il croyait avoir trouvé dans son imagination un moyen sûr et facile de résoudre le problème. Il savait qu’à un certain moment le gouvernement de Charles X n’avait pas été loin de confier le soin de sa vengeance au pacha d’Egypte, Méhémet-Ali, qui se serait volontiers chargé de conquérir l’Algérie et de la gouverner, comme son pachalik, à titre de vassal et de tributaire du sultan. A Méhémet-Ali le général Clauzel entendait substituer le bey de Tunis, dont l’autorité se serait étendue sur les parties du territoire algérien que n’auraient pas occupées effectivement les Français, à la condition d’être le vassal et le tributaire, non pas de la Porte, mais de la France. De bonne heure, le général avait envoyé à Tunis, comme en reconnaissance, un de ses aides-de-camp, le capitaine du génie Guy, lequel avait trouvé, dans le consul-général de France, M. de Lesseps, un auxiliaire ardent et empressé. A l’insu du département, des affaires étrangères comme du département de la guerre, une correspondance active s’établit entre le consul-général et le chef de l’armée d’Afrique. Il fut convenu que trois Tunisiens