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nullement surpris de lire dans une déposition faite par Danois en 1456, à l’occasion du procès de réhabilitation, que Jeanne eut un jour une vision où elle aperçut saint Louis et saint Charlemagne qui priaient Dieu pour le salut du roi Charles VII en même temps que pour la délivrance d’Orléans.

La sainteté de Louis IX formait en quelque sorte le couronnement de la légende mystique de nos rois ; mais ce que l’on trouvait à la base de cette légende, c’était le baptême de Clovis par saint Rémi et le miracle de la sainte ampoule. Ici encore, le nom même du lieu natal de Jeanne suffit pour montrer que la future libératrice de la France dut être familiarisée de bonne heure avec ce côté de la légende. Suivant une remarque déjà faite par Michelet et bien digne de l’intuition parfois profonde que ce voyant appliquait à l’étude des faits historiques, Domremy avait été, pendant les premiers siècles du moyen âge, un fief de l’abbaye de Saint-Remi de Reims, et l’église de ce village était placée sous le patronage de l’apôtre des Francs. D’où il suit que tous les ans, à l’occasion de la fête patronale. Jeannette d’Arc entendait le curé qui l’avait baptisée, messire Guillaume Frontey, originaire de Neufchâteau, prononcer du haut de la chaire le panégyrique du saint patron de son église et retracer à grands traits la légende du baptême de Clovis, non point telle qu’on la lit dans Grégoire de Tours, mais surchargée du merveilleux ajouté dans la version d’Hincmar à la narration primitive. Clovis oint d’une huile d’origine céleste et transmettant à ses successeurs le pouvoir d’opérer des miracles par la vertu de la sainte ampoule ; « saint » Charlemagne, vainqueur des mécréans : saint Louis, l’ascète couronné et le héros cher aux Joinville, voilà surtout ce que les paysans de Domremy connaissaient de l’histoire des anciens rois de France ; aussi considéraient-ils les successeurs de ces rois comme des personnages aussi sacrés en leur genre et dans l’ordre purement terrestre que les papes dans l’ordre spirituel. Ils voyaient dans l’onction de l’huile de la sainte ampoule, de cette ampoule apportée à saint Rémi, selon la légende, par un ange descendu du ciel, un véritable sacrement qui conférait aux princes assis sur le trône des fleurs de lis un caractère de suprême inviolabilité ; ce sacrement leur conférait, en outre, un pouvoir réservé sur la terre aux saints seulement, le pouvoir de faire des miracles. On se représentait ainsi le royaume de France comme un fief divin et le roi comme tenant ce fief en vertu d’une délégation d’en haut. Cette idée apparaît nettement dans la fameuse lettre, datée du 22 mars 1429, où la Pucelle somme les Anglais de vider le royaume de France : « Et n’ayez point en votre opinion que vous tiendrez mie le royaume de France de Dieu, le roi du ciel, fils de sainte Marie, mais le tiendra le roi Charles, vrai héritier. » La même idée