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travailleur, paraît donc, dans un grand nombre de cas, trop évidente. Ceux-là même le reconnaissent qui ne désespèrent cependant pas de « remédier au mal organique de la misère par de simples réformes pratiques et rationnelles. » « Si j’ai salué avec joie, dit M. Baron (premier prix du concours Pereire), le progrès remarquable de l’institution des caisses d’épargne, si je proclame tous les services qu’elle a rendus et qu’elle est appelée à rendre encore, surtout dans le sens du développement dans les classes pauvres de l’esprit d’ordre et d’économie, je suis forcé de reconnaître qu’elle est insuffisante pour assurer aux ouvriers ce qui leur manque le plus… Excellente pour le présent, elle ignore l’avenir et ne s’en préoccupe pas. » Même pour le présent, c’est-à-dire pour garantir l’ouvrier contre les conséquences d’un trouble imprévu apporté dans son travail par la maladie ou l’accident, l’épargne ne saurait avoir qu’une efficacité limitée à son chiffre même. Bien vite elle s’épuise ; vienne un second accident, c’est la misère. Aussi la philanthropie moderne a-t-elle eu raison de chercher s’il n’existait pas contre les mauvaises chances de la vie quelque préservatif plus efficace, et ce préservatif, elle croit l’avoir trouvé dans la mutualité, principe nouveau dont on paraît espérer beaucoup. « Quand on découvre, dit M. Coste (second prix du concours Pereire), les effets certains de la mutualité et qu’on pressent ses résultats possibles, il semble que l’on pénètre dans un monde merveilleux où le rêve le plus idéal prend la consistance et la réalité de la vie. » Pénétrons à notre tour dans ce monde merveilleux, et voyons ce que nous allons y découvrir.


III

La mutualité, c’est-à-dire la mise en commun de ressources sur lesquelles tous ont théoriquement un droit égal, mais auxquelles tous ne font pas appel (ou tout au moins pas dans la même proportion) peut prendre deux formes : la mutualité du crédit et la mutualité de la prévoyance. Je ne parlerai pas ici de la mutualité du crédit non-seulement parce qu’il n’existe en France que peu ou point d’institutions de crédit mutuel (sauf, paraît-il, une petite banque à Lyon), mais parce que les établissemens de ce genre, comme les banques populaires fondées en Allemagne par M. Schulze-Delitsch, celles organisées en Italie sous l’influence de M. Vigano, peuvent être par elles-mêmes des créations très utiles, mais ne sauraient, suivant moi, compter parmi les institutions destinées à prévenir ou soulager la misère. Ces banques ont, en effet, mis en pratique, et fort sagement au point de vue de la gestion de leurs affaires, le dicton populaire : « On ne prête qu’aux riches. » Elles s’inquiètent avant tout, et elles