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car la statistique a démontré que si les maladies des femmes sont plus fréquentes, en revanche, elles sont de plus courte durée, ce qui rétablit l’équilibre. Cette raison n’est pas la seule, car rien n’empêche les femmes de fonder des sociétés de secours mutuels à elles spéciales. Pourquoi ne le font-elles pas, du moins en plus grand nombre ? Sans doute par défaut de prévoyance et d’initiative, par la difficulté de s’entendre et de se grouper, de tenir des réunions, d’administrer un fonds social. Mais je crains que la principale raison ne soit que beaucoup de femmes ne parviennent pas à mettre de côté, tous les ans, la modique somme (10 francs en moyenne), qui est nécessaire pour payer la cotisation annuelle. Bien des fois, j’ai eu occasion de consulter combien les salaires féminins sont dérisoires. Comment s’étonner qu’une femme qui gagne à peine de quoi subvenir à son entretien n’ajoute pas encore à ses charges une dépense annuelle et qu’elle peut croire inutile ? Et cependant personne n’a plus besoin qu’elle d’être assurée comme les risques de maladie, puisque son budget, à peine en équilibre, n’en saurait supporter les dépenses. C’est ici que nous touchons au point faible du remède qu’on cherche dans la mutualité. Ce remède n’est pas, en effet, à la portée de tout le monde, et ceux-là précisément qui en ont le plus besoin sont ceux qui ne peuvent y avoir recours. Tel est le cas d’un grand nombre de femmes. Aussi, par une conséquence toute naturelle, sont-elles inscrites sur les listes des bureaux de bienfaisance en beaucoup plus grand nombre que les hommes. A Paris, en particulier, la proportion est presque du simple au double. On voit tout de suite que la partie la plus nombreuse, et on peut dire la plus intéressante de la population indigente, demeure en partie exclue des bienfaits de la mutualité. J’ajoute que la mutualité deviendrait insuffisante si tous ceux qu’elle doit secourir étaient atteints en même temps. C’est ainsi qu’une société de secours mutuels contre la maladie ne pourrait continuer ses opérations si tous ses membres étaient frappés en même temps par une épidémie. La même raison est cause qu’il ne sera jamais possible de fonder une société de secours mutuels sérieuse contre le chômage, j’entends le chômage général résultant d’un ralentissement prolongé dans le travail national ou de la décadence d’une industrie en particulier. Or le chômage est la plus terrible cause de misère. La puissance de la mutualité a donc des bornes, et l’on rencontre assez vite les limites de ce monde merveilleux qui enthousiasme si fort M. Coste. C’est là une indication qu’il fallait donner pour demeurer dans la vérité. Revenons maintenant aux sociétés de secours mutuels contre la maladie.

L’actif des sociétés de secours mutuels est, nous venons de le voir, considérable. Quel est l’emploi de cet actif ? Il faut distinguer