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Cette mer, n’en doutons pas, est celle qu’on voit étinceler au soleil des hauteurs de Taormine ou des rampes de l’Etna, celle dont il est question dans ces vers divins du berger de Théocrite : « Je ne désire pas posséder les domaines de Pélops ou entasser des monceaux d’or, je n’ai souci de courir plus vite que les vents. Mais puissé-je, sous ce rocher, te tenir entre mes bras, et, regardant paître mes brebis, lancer mes chants vers la mer de Sicile ! »


II

C’est ainsi que Virgile fit connaissance avec la Sicile ; et, comme il ne la vit d’abord qu’à travers les idylles de Théocrite, il était difficile qu’il n’en fût pas séduit. Il faut croire que, lorsqu’il la visita plus tard lui-même, son plaisir fut aussi vif, et que la réalité confirma toutes les illusions du rêve. La Sicile est un de ces beaux pays où les déceptions ne sont pas à craindre et qui répondent à tout ce qu’on peut attendre d’eux.

Nous avons la bonne fortune assez rare de savoir en quel état à peu près Virgile a dû la trouver. D’ordinaire on connaît mal la situation des provinces romaines ; personne presque ne nous parle d’elles ; tous les yeux étaient alors fixés sur la capitale, et ils n’aimaient pas à se détourner vers les pays qui l’entouraient. Mais par suite d’un événement particulier, quelques années avant l’époque d’Auguste, l’attention générale s’était un moment arrêtée sur la Sicile. Un grand seigneur, qui la gouvernait au nom du peuple romain, l’ayant, selon l’usage, très rudement traitée, ses administrés l’attaquèrent devant les tribunaux de Rome. Ils furent soutenus par le parti démocratique, qui, dans la personne du préteur concussionnaire, voulait déconsidérer toute sa caste, et Cicéron se chargea de le poursuivre. Les procès de ce genre étaient l’un communs en ce moment, et, une fois qu’ils étaient jugés, on n’en gardait pas le souvenir. Grâce au talent de l’orateur, celui de Verrès est devenu immortel. Les discours de Cicéron se sont par bonheur conservés et ils abondent en détails curieux sur la situation de la Sicile. Puisons à cette source intarissable pour savoir ce qu’elle était à ce moment et l’effet qu’elle pouvait produire sur les Romains qui allaient la visiter.

Nous y voyons d’abord que, bien que la population de la Sicile eût des origines très diverses, un des élémens dont elle se composait avait à peu près absorbé tous les autres, et qu’une seule langue, la langue grecque, dominait dans l’île entière. Seulement les Romains étaient frappés de voir que les Grecs de ce pays ne ressemblaient pas tout à fait à ceux qu’ils rencontraient ailleurs. Ils avaient, comme tous leurs compatriotes, beaucoup de finesse et d’agrément