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furieuses qui font trembler la terre, et qu’enfin, quand ils trouvent quelque issue, ils s’échappent en tourbillons de feu. Tel est le système que l’auteur expose assez lourdement, dans un poème de plus de six cents vers. Il n’en garantit pas tout à fait la certitude, et le donne le plus souvent pour une hypothèse. Il est pourtant fort heureux de le développer, parce qu’il le dispense d’accepter les fictions mythologiques. C’est un libre penseur, très fier de l’être qui malmené beaucoup ses malheureux confrères quand ils se permettent de nous parler d’Encelade ou de Vulcain et qui, pour son compte, fait profession de n’avoir souci que de la vérité, in vero mihi cura. Mais, malgré ses rodomontades, c’est au fond un libre penseur timide, mal dégagé de ces histoires fabuleuses dont il se moque et qui se rend coupable lui-même des faiblesses qu’il reproche durement aux autres. Il invoque Apollon, avant de commencer son poème, sous prétexte « que ce dieu nous aide à marcher avec plus d’assurance dans les routes inconnues, » et pour nous faire comprendre l’effrayante beauté des éruptions de l’Etna il nous dit sérieusement « que Jupiter lui-même admire de loin ces jets de flammes et qu’il craint que les géans ne songent à se remettre en campagne, ou que Platon, mécontent de son partage ne veuille échanger les enfers contre le ciel. » Ce poète si peu d’accord avec lui-même me paraît l’image fidèle de la société au milieu de laquelle il vivait et que travaillaient des instincts contraires. Sceptique et croyante à la fois, railleuse et dévote, elle se moquait des dieux anciens et en cherchait partout de nouveaux

Si rapide que soit la navigation d’Enée, il était impossible que l’Etna n’arrêtât pas un moment ses regards. Virgile était donc forcé de le décrire ; il le fait en quelques vers où il le représente tantôt lançant dans les airs des nuages de fumée, mêlés de cendres brûlantes, avec des flammes qui vont toucher les astres tantôt vomissant des pierres calcinées et des roches fondues, tandis que la montagne bouillonne jusqu’au plus profond de ses abîmes :


Horrificis juxta tonat Ætna ruinis
Interdumque atram prorumpit ad æthera nubem
Turbine fumantem piceo et candente favilla,
Attollitque globos flammarum et sidera lambit ;
interdum scopulos avusasque visecra montis
Erigit eructans, liquefactaque saxa sub auras
Cum gemitu glomerat, fundoque exæstuat imo.


Ces vers sonores et brillans furent, dès les premiers jours, appréciés des connaisseurs et cités dans les écoles comme un modèle achevé de description, si bien que Sénèque, qui n’est pas un juge prévenu, déclarait qu’il n’y a rien à y reprendre ou à y ajouter.