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l’hiver obscurcissent le ciel. Silencieux pendant le calme, il domine l’onde immobile, et les oiseaux de la mer aiment à s’y reposer au soleil. » Je l’aperçois à quelques kilomètres du rivage, et la description de Virgile m’aide à le reconnaître. On l’appelle aujourd’hui Isola d’Asinello. C’est autour de cette petite île, décorée pour la circonstance de branches de chêne, que les vaisseaux doivent tourner. Voilà bien l’écueil où la galère de Sergeste a brisé ses rames et sa proue ; je la vois qui essaie péniblement d’avancer, avec les voiles qui lui restent, « semblable à un serpent sur lequel a passé la roue d’un char au milieu du chemin, qui se consume en efforts inutiles et se replie sur lui-même sans pouvoir faire un pas n tandis que devant elle passe, comme un éclair, le vaisseau de Mnesthée, avec ses rameurs haletans courbés sur l’aviron. Cette première joute finie, Enée, qui en a suivi les péripéties des environs du port de Drepanum, se rend, en longeant le rivage, « jusqu’à une prairie entourée d’un cercle de collines qu’ombragent des forêts. » Il serait aisé de trouver, le long des rampes de l’Erys plus d’un lieu qui répondrait exactement à la description de Virgile. L’Eryx ne tombe pas dans la mer d’une pente unie ; il jette à droite et à gauche des contreforts qui s’avancent, enfermant entre eux de petites vallées verdoyantes adossées aux flancs de la montagne. Les vallées ressemblent assez, selon l’expression du poète à la partie circulaire d’un théâtre antique, et elles paraissent faites exprès pour des foules qui veulent assister commodément à quelque spectacle. Figurons-nous Enée assis au fond de cette espèce de cirque, sur un siège plus élevé ; autour de lui, les Troyens et les Siciliens se placent comme ils peuvent sur le penchant des collines et de là tous regardent, avec un intérêt passionné, la course à pied, la palestre, le tir de l’arc. Mais, pendant qu’ils sont tout entiers livres au plaisir que leur causent les évolutions compliquées du jeu troyen, le spectacle est arrêté par un incident imprévu Un messager accourt pour annoncer que les femmes, qu’on a laissées à Drepanum, désespérées de se remettre en route et cédant aux mauvais conseils de Junon, ont mis le feu aux navires. De l’endroit où Enée se trouve, le port est caché et il n’est pas possible d’apercevoir la flotte qui brûle ; mais, par-dessus les hauteurs, on voit la fumée s’élever, comme un nuage, dans les airs. Iule, le premier puis tous les Troyens à sa suite, se précipitent pour éteindre l’incendie.

Malgré la promptitude des secours et l’aide de Jupiter on ne peut pas sauver tous les vaisseaux ; quelques-uns sont tout à fait détruits, ou beaucoup trop endommagés pour être réparés. Il n’est donc plus possible à Enée d’emmener avec lui tout son monde il