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apportait d’Amérique, lui livrait du buis de santal dont il ignorait la valeur.

Ce jeune chef avait couru le projet audacieux de réunir toutes les îles sous sa domination. Par la ruse, l’intrigue et les armes, il poursuivait son but, divisant ses adversaires, gagnant ceux qu’il ne pouvait vaincre, abattant ceux qu’il ne pouvait rallier, supérieur aux revers, ramenant la fortune par H a ténacité, sauvage de génie, capable de former et de réaliser de liantes conception.

Il avait nom Kaméhaméha (le solitaire). Son père était chef de Kona, l’un des districts de la grande île de Havaï, qui donne aujourd’hui son nom au royaume. À la mort de son père, et, bien jeune encore, il lui succéda. Abrité des verts alizés par la haute montagne de Mauna-Lou. Ce district, l’un des plus riches de l’île, était renommé pour ses pêcheries. Kiwalao, son voisin, chef de Kau, convoitait Kona et crut le moment opportun pour s’en emparer. Sous prétexte de venir assister, suivant la coutume, aux funérailles du père de Kaméhaméha, Kiwalao convoqua ses principaux guerriers et arma une flottille de pirogues de guerre pour se rendre à Kailua, capitale du district de Kona. Une tradition faisait, en effet, de Kailua le lieu consacré à la sépulture des grands chefs de Havaï. Kaméhaméha) soupçonnant ses desseins, l’invita à réduire son escorte et, sur le refus liant a in de Kiwalao, déclara qu’il s’opposerait à le laisser entrer dans Kailua. Due lutte, d’autant plus acharnée que les deux chefs étaient paréos, et qu’à la mort de l’un d’eux l’autre lui succédait du droit, s’engagea sur la plage Les forces étaient égales et la bataille, alternativement reprise et suspendue. continua sans avantages marqués de part et d’autre jusqu’au soir du huitième jour, où Kiwalao fut tué dans la mêlée. Ses troupes se débandèrent et Kaméhaméha resta maître du champ de bataille, chef légitime de Kona et de Kau.

Néanmoins il lui fallut conquérir une à une les places fortes de son rival, défendues par ses lieutenans soutenus par les renforts que leur envoyaient les chefs de l’île de Mauï. Maître enfin de Kau, il entraîna ses soldats aguerris à la conquête du reste de l’île de Havaï, prodiguant les terres et le butin, attirant à lui par ses promesses et sa générosité les plus intrépides, s’ouvrant aux plus intelligens de ses projets de réunir sous ses lois des tribus divisées, en lutte perpétuelle entre elles-mêmes, de substituer l’ordre à l’anarchie, la paix à la guerre, et leur montrant, avec le but à atteindre, la récompense promise à leurs efforts.

Vainqueur d’Havaï, il tourna ses armes contre l’île de Mauï, dont le séparait un chenal de quinze lieues. Une prompte traversée, une descente heureuse, plus encore son courage et son sang-froid, lui