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danger n’est pas précisément dans une guerre immédiate, directe entre l’Allemagne et la France, qui n’ont eu aucun démêlé sérieux dans ces derniers temps; il est dans les Balkans, où la politique russe est trop engagée pour reculer. Il est sûr que, si la guerre éclatait en Orient, entraînant l’Autriche dans son tourbillon, elle aurait d’inévitables contre-coups dans l’Occident; mais cette guerre elle-même n’est-elle pas devenue moins vraisemblable depuis que M. de Bismarck s’est rapproché du cabinet de Saint-Pétersbourg et que les envoyés bulgares ont pu s’assurer qu’ils trouveraient plus de bonnes paroles que d’appui réel dans leurs affaires avec la Russie? L’an dernier, l’Europe a fait une coalition, oui vraiment, une coalition, pour imposer la paix à la Grèce. Laisserait-on aujourd’hui l’allumette bulgare mettre le feu au monde?

Ces nuages, qui ont quelque peu assombri ces derniers jours, passeront, il faut le croire, comme d’autres nuages semblables ont déjà passé plus d’une fois. On ne peut pas dire, dans tous les cas, que l’année finisse d’une manière bien heureuse pour l’Europe, et s’il y a d’obscurs problèmes, de périlleuses questions de paix générale qui pèsent sur tout le monde, qui affectent toutes les politiques, il y a aussi des difficultés dans les affaires intérieures de plus d’un pays. L’Angleterre elle-même, qui se croit toujours plus en sûreté que toutes les nations, qui, avec son égoïsme superbe, se complaît trop souvent au spectacle des embarras des autres, l’Angleterre n’est point sans avoir eu pour sa fin d’année une surprise quelque peu importune. Pendant que ses journaux étaient si occupés tout récemment des affaires de l’Europe, ils ne regardaient pas dans leurs propres affaires et ils n’ont pas vu le danger qui est venu pour leur gouvernement du côté où on l’attendait le moins. Comme si ce n’était pas assez pour l’Angleterre de retrouver sans cesse devant elle l’éternelle et douloureuse question irlandaise, de se voir ramenée à une politique de répression et de force, qui est devenue peut-être nécessaire et qui ne sera pas moins impuissante, une crise ministérielle est venue tout compliquer à l’improviste. Le jeune et bouillant chancelier de l’échiquier, lord Randolph Churchill, par un de ces coups de tête qui lui sont familiers, a donné ou plutôt jeté sa démission à la reine et à ses collègues; sans prévenir personne, au risque de mettre la dislocation dans le gouvernement et la confusion dans les partis. Avant que décembre soit achevé, six mois après les élections qui ont renversé M. Gladstone et ramené les tories au pouvoir, l’Angleterre, elle aussi, a tout l’air d’avoir son commencement de gâchis ministériel et parlementaire.

Ce n’est qu’un ministre de moins, ce n’est qu’un chancelier de l’échiquier à remplacer, peut-on dire. Si ce n’était que cela, s’il n’y avait qu’une crise partielle et accidentelle provoquée par le caprice d’une jeune et remuante ambition, ce ne serait rien, en effet. Malheureusement