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clairvoyans, reconnue par tous les gouvernemens désintéressés, c’est que la France n’a rien fait qui ait pu donner un prétexte aux récentes alertes de l’Europe, et que, depuis le moment où la crise a paru devenir plus aiguë, elle n’a rien fait pour l’aggraver ; elle a gardé un calme imperturbable. Ce n’est pas que les provocations lui aient manqué : on a fait tout ce qu’il fallait pour émouvoir ses susceptibilités ; on ne lui a épargné ni les coups d’aiguillon, ni les menaces, ni même les démonstrations plus ou moins déguisées qui auraient pu l’inquiéter pour sa sûreté. Elle a opposé à tout une sorte d’impassibilité à laquelle on ne s’attendait peut-être pas. Le gouvernement n’a pas cru devoir réitérer ou multiplier des déclarations qui n’auraient servi à rien ; il n’a pas, que nous sachions, laissé échapper un mot qui ait pu susciter un doute sur ses intentions pacifiques. Nos chambres se sont abstenues de toute interpellation, de toute discussion irritante. La presse elle-même s’est défendue des polémiques violentes et a mesuré ses représailles. Dans ce pays où toutes les excentricités sont possibles, pas une manifestation ne s’est produite. On pourrait dire que la France a étonné le monde par son sang-froid au milieu des excitations, si bien qu’en désespoir de cause, les journaux allemands n’ont plus eu d’autre ressource que d’attribuer ce calme à un mot d’ordre, à une discipline imposée par on ne sait qui : de sorte que si la France cède à ses émotions et parle, elle veut la guerre ; si elle se tait, elle obéit à la discipline !

Au fait, que veut-on d’elle ? — qu’elle respecte les traités ? Elle les observe, elle ne les conteste ni ne les élude ; on ne peut pourtant pas exiger d’elle qu’elle fasse tous les matins ses dévotions à la paix de Francfort, et lorsque autrefois ou disait qu’il fallait « détester les traités et les respecter, » ce mot n’a jamais passé pour une provocation. — Lui demande-t-on d’être correcte, conciliante dans ses rapports avec d’anciens adversaires ? Dix ministères se sont succédé, qui tous ont mis leurs soins à rendre la paix facile par la correction de leur attitude et de leurs rapports, on le reconnaît. — La France, dit-on, est trop occupée de la reconstitution de sa puissance militaire, de ses armemens ; mais ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle a entrepris cette tâche, et M. le ministre de la guerre qu’on met en scène à tout propos, dont on exagère l’importance par une tactique trop facile à saisir, M. le ministre de la guerre ne fait que continuer ce que ses prédécesseurs ont commencé. Il y a quinze ans que la France est à l’œuvre, et elle y était d’autant plus obligée qu’elle venait d’être cruellement éprouvée, qu’elle avait tout à refaire, même sa frontière, qu’elle ne pouvait rester une grande nation qu’en reconstituant ses forces pour sa défense, sans arrière-pensée de provocation. Elle en eut toujours là. — Soit, poursuit-on, mais la France peut avoir des ministères moins pacifiques qui seraient tentés de se servir de son armée reconstituée, ou bien elle