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juste des circonstances. M. Léon Say disait spirituellement l’autre jour devant le sénat, à propos de l’éternelle discussion du budget, qu’il n’y avait pas de vrai ministère, qu’il n’y avait que des ministres qui représentaient les différens groupes parlementaires et qui se réunissaient de temps à autre, comme des plénipotentiaires de ces groupes autour d’une table de conseil sur laquelle on aurait placé « une tour Eiffel ou une tour de Babel, symbole de la confusion ! » Et ce qui ajoute encore à la confusion, c’est que, le conseil une fois fini, chacun reprend plus que jamais sa liberté et porte dans les affaires son humeur indépendante, sa légèreté, son inexpérience, ses fantaisies.

On ne s’entend pas dans le conseil, on s’entend encore moins hors du conseil, et tout cela ressemble un peu à une parodie de gouvernement. Ce n’est pas sérieux, ce n’est pas non plus toujours sans danger. Il peut en résulter des aventures assez étranges qui, heureusement, ne sont quelquefois que plaisantes, qui pourraient aussi, selon les momens, avoir quelque gravité. M. le ministre de la guerre, par exemple, aurait eu dernièrement, dit-on, l’idée de disposer d’un de nos attachés militaires à l’ambassade de Saint-Pétersbourg et de le charger, sans consulter ses collègues, d’une lettre autographe pour le ministre de la guerre de l’empereur de Russie. La démarche, on en conviendra, était passablement bizarre ; elle aurait pu exciter quelque surprise, être surtout mal interprétée, et M. le ministre des affaires étrangères avait certes tous les droits possibles de se montrer offusqué, de porter même ses plaintes devant M. le président de la république. Jusque-là, le chef de notre diplomatie n’a fait que son devoir en réprimant les impatiences épistolaires de son terrible collègue. Malheureusement, M. le ministre des affaires étrangères, qui est à ce qu’il paraît un homme de famille, n’a eu rien de plus pressé que de s’entretenir de ses querelles avec M. le ministre de la guerre au coin de son foyer, — Et de là l’histoire de la lettre est allée droit aux ambassades ; elle a couru partout, commentée, brodée et peut-être un peu exagérée. Le dénoûment n’a eu par bonheur rien de plus grave. La lettre paraît avoir été supprimée avant d’être partie. Le pays seulement doit être bien édifié, bien tranquillisé de savoir ses affaires en des mains si sûres et les secrets de l’état si bien gardés ! M. le ministre de l’instruction publique, quant à lui, est un savant chimiste qui traite la politique et l’histoire à sa manière. Il y a quelques semaines, il faisait devant la chambre une conférence vraiment fort libre et qui a un peu prêté à rire, sur Aristophane et Socrate, — Le tout pour arriver à réclamer la conservation de la censure des ouvrages de théâtre. Hier encore, à l’occasion du traitement de quelques instituteurs, il a fait un voyage à travers l’histoire, en passant par Philippe le Bel, Boniface VIII, la renaissance, l’inquisition, les jésuites, Napoléon et la