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depuis ses dernières révolutions, vit en dehors des traités, en dehors de toutes les ambitions d’un état régulier, qui a perdu son prince dans une échauffourée nocturne et n’a plus même une assemblée, qui n’a d’autre pouvoir qu’une régence contestée. Vainement cette régence de Sofia a essayé de négocier, d’ouvrir des rapports avec les cabinets de l’Europe comme avec la Porte, qui est toujours la puissance suzeraine, pour arriver à reconstituer un gouvernement régulier par l’élection d’un nouveau prince : elle n’a pas réussi. Elle a été peu écoutée, elle a paru aussi écouter fort peu les conseils qu’elle a pu recevoir, soit des chancelleries européennes, soit de la Porte. Il y a eu à Constantinople une conférence réunie tout exprès pour tâcher d’arranger ces malheureuses affaires bulgares, la conférence n’a conduit à rien. La régence de Sofia est restée un pouvoir provisoire suspect dès l’origine à la Russie, abandonné à lui-même, menacé de plus par les divisions et les hostilités intérieures. Qu’est-il arrivé ? l’anarchie n’a fait que s’accroître à mesure que s’est prolongée cette situation sans fixité et sans issue. Les conspirations se sont organisées jusque dans l’armée, et un jour, tout récemment, le signal de la sédition militaire a été donné par la garnison de Silistrie. L’insurrection a bientôt gagné la garnison de Roustchouk, elle a menacé de s’étendre à quelques autres villes, Schumla, Plewna. La régence, heureusement pour elle, a trouvé quelques troupes fidèles et elle n’a point hésité à faire attaquer les insurgés. Elle a réussi à vaincre la sédition ; mais alors ont commencé d’autres scènes de violence qui sont la contre-partie de l’insurrection. Le gouvernement, demeuré victorieux, a déployé toutes les rigueurs d’une répression implacable et n’a pas reculé devant les excès des plus terribles représailles. Depuis quelques jours, les exécutions sanglantes se sont succédé à Silistrie, à Roustchouk. Dans toute la principauté, les adversaires du gouvernement, les suspects sont livrés au bâton de la police. A Sofia même, au premier moment, les arrestations se sont multipliées sans distinction, le plus souvent peut-être sous une inspiration vindicative de parti, et les hommes les plus notables, d’anciens ministres comme M. Karavelof, ont été les victimes dans leur liberté, presque dans leur vie, des plus étranges abus de pouvoir. Bref, la répression victorieuse ne vaut pas mieux que n’eût valu sans doute l’insurrection si elle avait réussi. La régence se défend, elle l’assure, c’est possible; dans sa défense, elle dépasse visiblement le but, et, en dépassant le but, elle ne fait que mieux montrer ce qu’il y a d’irrégulier, de violent, d’anarchique dans l’état d’une principauté dont la semi-indépendance n’a été jusqu’ici qu’un embarras, une source de rivalités périlleuses pour ceux qui l’ont créée au détriment de la souveraineté de la Porte ottomane.

Ce qui fait effectivement la gravité de ces scènes comme de toutes celles qui se sont succédé à Sofia depuis deux ans, ce n’est point précisément