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pour avoir, que savons-nous? Nice ou la Savoie, ou Tunis, ou Constantine, — D’autant plus que M. de Bismarck serait homme à lui laisser le soin de prendre ce qu’il lui aurait libéralement donné. Ce ne sont là que des fanfaronnades de journaux dont ne peuvent être responsables des gouvernemens sérieux. Ce qui reste, et c’est assez, ce qui paraît rester, c’est une alliance d’un caractère défensif. L’Italie, dit-on, voudrait s’allier avec l’Angleterre pour sauvegarder l’équilibre de la Méditerranée; elle veut s’allier avec l’Allemagne et l’Autriche pour la défense de la paix! L’Italie est certes parfaitement libre; mais enfin contre qui éprouve-t-elle le besoin de défendre avec l’Angleterre, maîtresse de Gibraltar et de Malte, l’équilibre de la Méditerranée? Contre qui se sent-elle si pressée de défendre la paix, de concert avec l’Allemagne et l’Autriche? Ce serait curieux à savoir. L’inconvénient de toutes ces combinaisons, fussent-elles défensives, est de risquer de dépasser le but ou d’être destinées à rester insignifiantes, L’Italie a eu son alliance défensive depuis cinq ans, elle n’y a rien gagné ; elle la renouvelle ou elle va la renouveler aujourd’hui, elle n’y gagnera pas davantage, elle n’y gagnera même pas d’empêcher M. de Bismarck de traiter par-dessus sa tête avec le souverain qui est au Vatican. Elle aurait infiniment plus de profit à rester dans son indépendance, que personne ne menace, et qu’elle seule pourrait compromettre par ses impatiences un peu affairées.

L’Angleterre use et abuse trop souvent sans doute de ses privilèges de puissance insulaire pour contempler d’un œil froid, du haut de sa position inaccessible, les crises de l’Europe. Ce n’est pas qu’en sa qualité d’une des premières nations du monde elle ne soit intéressée comme d’autres aux événemens qui peuvent bouleverser le continent, à la paix ou à la guerre; mais elle s’est depuis longtemps accoutumée à se retrancher dans son égoïsme superbe. Elle voit les agitations sans s’y mêler; elle semble ne s’occuper quelquefois des crises de l’Occident ou de l’Orient que pour les envenimer par les polémiques de ses journaux ou pour se dérober au dernier moment, comme elle l’a fait dans les révolutions bulgares, auxquelles elle n’était certainement pas étrangère. Attentive à tirer parti de toutes les complications dans son propre intérêt, elle ne se compromet pas pour les autres et elle ne s’engage pas dans des alliances où elle n’a rien à gagner. C’est depuis longtemps sa politique étrangère. L’Angleterre a peut-être ses raisons; en réalité, elle a d’autres problèmes à résoudre, d’autres difficultés qui la préoccupent plus que les affaires de l’Occident ou de l’Orient, qu’elle ne peut pas éluder, et auxquelles ses gouvernemens, quels qu’ils soient, libéraux ou conservateurs, ont jusqu’ici de la peine à faire face. L’Angleterre ne peut faire un mouvement sans rencontrer devant elle cet éternel problème irlandais qui pèse sur toutes ses