Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/712

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 mars.

Les nations contemporaines ne sont plus accoutumées à vivre sous cette tente dressée pour le repos dont parlait autrefois M. Royer-Collard. Elles vivent le plus souvent dans une atmosphère troublée, entre la crise de la veille et la crise du lendemain. C’est leur destinée ou, si l’on veut, leur fatalité. Elles ont toutes plus ou moins leurs difficultés qu’elles subissent ou qu’elles se créent. Quand un point noir semble disparaître de leur horizon, comme c’est arrivé récemment, elles se sentent soulagées sans doute, elles peuvent respirer un instant, délivrées qu’elles sont provisoirement d’une perspective de guerre; mais ce n’est qu’un instant. Les points noirs ne sont pas ce qui manque dans leurs affaires extérieures ou intérieures : il y en a une collection variée pour tout le monde. Le point noir pour l’Angleterre, c’est l’Irlande, l’immortelle, l’indomptable révoltée, et c’est peut-être aussi, dans un avenir qui pourrait n’être pas trop éloigné, quelque conflit redoutable au cœur de l’Asie. Le point noir pour la Russie, c’est le nihilisme, qui se révèle par de sinistres attentats, que rien ne décourage, parce qu’il procède d’un fanatisme sombre jouant avec la mort et la ruine. Le point noir pour la puissante et orgueilleuse Allemagne elle-même, c’est le socialisme dont les élections dernières ont dévoilé les incessans progrès, qui ne laisse pas de troubler parfois dans son sommeil un homme peu porté à s’effrayer des fantômes. Pour la France enfin, à part cette vague et perpétuelle menace d’un conflit qu’elle ne recherche pas, le point noir, c’est encore ce qu’on peut appeler, ce qu’on appelle effectivement tous les jours, le gâchis intérieur; c’est cette anarchie vulgaire, tapageuse, stérile, où tout prend un aspect d’incohérence, où l’on ne sait jamais s’il y a un gouvernement et ce qu’il veut, ce que devient un ministère qui est la parfaite image de la situation, qui n’a pas plus de raisons pour vivre que pour mourir.