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républicaine? Il y a sans doute tous les emportemens et tous les préjugés d’un étroit et vulgaire esprit de parti; il y a aussi une ignorance complète de toutes les conditions d’une politique sérieuse, d’un gouvernement fait pour un grand pays. Les républicains, à leur avènement au pouvoir, il y a bientôt dix ans, n’ont vu dans leur succès que le droit de s’emparer de tout, de toucher à tout, de disposer de tout, en donnant à leurs passions et à leurs fantaisies libre carrière. Ils ont vu devant eux, sous leur main, l’organisation publique tout entière, l’administration, la magistrature, l’armée, les finances, l’enseignement, les places, les faveurs : ils se sont précipités dans les affaires de la France avec autant de présomption que d’incapacité. Ils ont cru que, puisqu’ils étaient républicains, ils pouvaient se passer de savoir et d’expérience, qu’ils allaient tout réformer, et ils n’ont réussi qu’à tout désorganiser. Leur règne est déjà assez long pour qu’on en voie aujourd’hui les fruits. On a touché à l’organisation judiciaire et administrative pour en affaiblir tous les ressorts. On a réformé l’enseignement pour en faire une œuvre de secte, un instrument de persécution, pour allumer partout une sorte de guerre intestine des croyances. On s’est surtout jeté sur les finances, et on a si bien manœuvré qu’après dix ans on se retrouve avec une dette publique surchargée, avec des dépenses incessamment accrues, des ressources qui diminuent et des budgets qu’on ne sait plus comment remettre en équilibre. Ce qu’il y a de singulièrement frappant, c’est que les républicains, qui se considèrent comme les maîtres exclusifs du pays, semblent avoir perdu le sens même de la loi, de tout ordre régulier. Ils procèdent avec un arbitraire complet. Ils traitent les intérêts les plus sérieux, les questions les plus positives ou les plus délicates, les finances elles-mêmes, avec une désinvolture dont on vient d’avoir une preuve nouvelle dans cette dernière affaire des crédits supplémentaires.

Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’à la longue tout s’use et s’abaisse. La chambre elle-même s’est certainement déconsidérée à cette œuvre où elle se perd, où elle a visiblement le sentiment de son impuissance. On a fini par créer cette situation indéfinissable où il n’y a pas de gouvernement possible, parce qu’il ne peut s’appuyer sur rien, où un ministère ne vit qu’en restant à la merci des incidens, en évitant d’avoir une politique. Il y a des ministres réunis dans un conseil, il n’y a pas de ministère, et si le cabinet qui existe aujourd’hui vient d’avoir une majorité, s’il a gagné quelques semaines, il n’en est ni plus fort, ni plus sûr de vivre. M. le président du conseil n’a dû évidemment sa victoire qu’à la force des choses, à l’impossibilité de le remplacer, à une nécessité de circonstance. Au fond, la situation reste la même. Et cependant le pays qui assiste à cette représentation dont il est la victime, ne cesse d’attendre. Il attend que de la confusion il sorte un gouvernement, que des hommes mieux inspirés, de quelque côté qu’ils