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amitié, toujours honnête, sera récompensée par une confidence ignorée de tous et dont je vous demande le secret le plus exact : on me croit noyé et je n’ai pas de l’eau jusqu’à la cheville. Le roi lui écrit tous les jours et j’espère que tout ira bien. » — Ou Valfons ne garda pas bien le secret, ou Richelieu en avait fait encore quelques autres communications, car Chambrier parlait de cette réconciliation dans sa correspondance comme d’un fait avéré et certain[1].

Richelieu se vantait suivant son habitude, et il en convient lui-même, dans le seul document authentique que nous ayons conservé de lui. Le roi l’accueillait bien effectivement comme s’il n’eût conservé aucun souvenir de ce qui s’était passé entre eux ; mais c’était à la condition que lui-même se gardât de toucher à ce sujet délicat et de lui en rappeler la mémoire. Une seule fois, pendant la durée du siège, il tenta d’y revenir et mal lui en prit. Il était resté dépositaire de toute la correspondance du roi et de la duchesse, que le valet de chambre Lebel, dans le désordre des momens critiques, lui avait en quelque sorte jetée entre les mains, après avoir entassé pêle-mêle toutes les lettres dans une serviette, sans avoir le temps ni de les ranger, ni de les compter, ni de les envelopper. A Fribourg, Lebel fit redemander son paquet. Richelieu, voulant profiter de l’ouverture, s’approcha du roi, au moment du coucher, pour s’informer si la demande était faite de sa part et si la remise devait avoir lieu entre ses mains. Le roi rougit en le voyant venir, et, passant devant lui sans le regarder, pour entrer dans sa garde-robe, lui dit d’une voix sèche et basse : « Comme vous voudrez, comme vous voudrez. »

Le siège fini, ce fut encore, pour l’adroit courtisan, une suite de nouveaux mécomptes. Il annonça d’abord qu’il allait partir pour le Languedoc, dont il était gouverneur et où il devait présider les états de la province. A Bordeaux, il était à moitié route d’Espagne ; c’était autant de chemin fait, pensait-il, pour aller remplir la mission dont on l’avait flatté au temps de sa faveur et chercher à Madrid la future dauphine ; mais le roi ne parut pas avoir gardé le moindre souvenir de cette promesse. Le duc, alors, sollicita au moins la permission de passer par Paris pour mettre ordre à quelques affaires ; l’autorisation lui fut refusée : évidemment, on se méfiait de l’entrevue et des entretiens qu’il allait chercher dans la capitale[2].

La vérité est que le roi, travaillé à la fois par les scrupules si

  1. Mémoires de Valfons, p. 123. — Chambrier à Frédéric, 19 octobre 1744. (Ministère des affaires étrangères.)
  2. Mémoires inédits de Richelieu, communiqués par M. de Boislisle.