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récemment réveillés de sa conscience et par le retour de sa passion, humilié de l’éclat donné à son repentir, mais sentant le ridicule et l’odieux d’une rechute qui ne serait pas moins publique, partait de Fribourg et s’approchait lentement de Paris sans savoir encore quel parti il allait prendre et lequel de ces sentimens mélangés l’emporterait dans son cœur. La duchesse, de son côté, devinant ses incertitudes, se mourait dans la retraite à Paris d’angoisse et d’impatience. Elle passait par de brusques transitions de l’espérance au découragement. On suit ces alternatives dans les lettres que Richelieu lui-même nous a conservées.

A la première nouvelle du rétablissement complet du roi, c’avait été d’abord des éclats de joie qu’elle ne pouvait contenir ; le drame de Metz n’était plus que l’intermède d’une comédie à caractères, dont le dénoûment heureux était écrit d’avance. — « Je ne reviens pas, écrivait-elle, du compliment fait à Mme de Luynes ; si c’était dans un autre moment, j’en rirais comme une folle, car il n’y a rien de si singulier ; mais je me meurs de peur que cela ne passe la plaisanterie et que tous les jours je n’apprenne quelque nouveau propos, car je compare la peur qu’il a du diable à celle du page du comte de Clermont qui s’en fut à sept lieues, l’épée à la main, sans s’arrêter. Quand sa tête sera revenue, je ne serai pas en peine ; je lui manquerai furieusement, et il se repentira bien de tout ce qu’il a dit et fait, et je vois d’ici qu’il prendra en aversion les gens qu’il aura, comme cela, complimentés à toute outrance. Cette quantité d’amendes honorables est comique et, pour trancher le mot, ridicule. Quand il se portera tout à fait bien, comme cela l’impatientera ! Je vous ai dit qu’il n’en mourrait pas. Je vous dis à présent que nous reviendrons plus brillans que jamais… La reine a été nulle jusqu’à présent : elle commence à vouloir devenir un personnage,.. elle mourra à la peine et cela n’ira pas loin. »

Quelques jours après, cependant, les assurances ne sont pas moins positives, mais le ton respire moins de confiance et, pour sauver les dehors et s’accommoder avec le ciel, l’amante est prête à se contenter, pour un temps du moins, du nom d’amie. — « Je ne connais pas le roi dévot, dit-elle, mais je le connais honnête homme et très capable d’amitié ; .. il est bien persuadé que je l’aime pour lui et il a bien raison, mais c’est un grand point qu’il le sache, et j’espère que la maladie ne lui a pas ôté la mémoire. Jusqu’ici, personne n’a connu son cœur que moi, et je vous réponds qu’il l’a bon, et très bon, et très capable de sentiment. Je ne vous nierai pas qu’il y a du singulier parmi tout cela, mais ce n’est pas ce qui l’importe (sic). Il restera dévot, mais point cagot… Je l’aime cent fois mieux ainsi… Je n’aurai plus rien à craindre, ni changement, ni maladie, ni le diable, et nous mènerons une vie délicieuse.