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sans rapport avec leur rôle dans l’histoire ecclésiastique ou leur rang dans la liturgie orthodoxe. On a remarqué que, parmi les hôtes de l’empyrée chrétien, les plus vénérés du peuple étaient souvent les moins humains, ou les moins historiques, ceux que la légende a le plus librement modelés à son gré. La raison en est simple : saints légendaires, anges du ciel ou prophètes de l’ancienne loi, les préférés de la dévotion russe ont, pour la plupart, conservé un caractère mythique.

Plusieurs ne sont que des dieux dégradés ou purifiés. De l’Olympe barbare de la Rouss primitive, ils se sont glissés dans le paradis orthodoxe. Parfois, sous le couvert d’une ressemblance de noms, ils ont transmis à un saint leurs attributs et leurs fonctions. C’est ainsi que saint Blaise, en russe Vlas, a, dans les superstitions locales, pris l’emploi de l’antique Volos ou Veles, le dieu des troupeaux. Le Jupiter slave, Péroun, le dieu de la foudre, dont les statues furent jetées dans le Dniepr et le Volkof, est remonté sur les autels sous la figure d’Élie, saint Élie, Ilia. Le prophète d’Israël, enlevé au ciel sur un char de feu, a succédé au dieu du tonnerre des anciens Russes, de même que, chez les Grecs, le même Élie avait déjà hérité d’Hélios, le Soleil. Lorsqu’il tonne, c’est, pour le moujik, le char du prophète Élie qui roule dans les cieux. En même temps que de la foudre, ce maître de l’orage dispose de la grêle. Un conte du gouvernement de Iaroslavl le montre détruisant les récoltes d’un paysan qui célébrait la saint Nicolas sans fêter la saint Élie.

Pour d’autres bienheureux, pour l’archange saint Michel, pour saint George, l’un des patrons de l’empire, dont l’équestre image, d’origine païenne, décore l’écusson national, le caractère mythique n’est pas moins marqué. Il en est de même de saint Nicolas, le plus invoqué et le plus puissant de tous les saints russes, celui qui, selon la croyance populaire, doit succéder à Dieu, lorsque Dieu se fera vieux. Saint Nicolas a les vocations les plus diverses. C’est, comme en Occident, le patron des enfans, c’est le protecteur des matelots, des pèlerins, des gens en danger. Par opposition à saint Élie, souvent dur et vindicatif, saint Nicolas est le bon saint, obligeant et secourable par excellence. Le Russe en emporte le culte partout avec lui et le répand autour de lui. Les païens d’au-delà de l’Oural ont pour saint Nicolas les mêmes hommages que les orthodoxes : ainsi les Votiaks non baptisés et les Ostiaks, qui l’appellent Kola, le dieu russe. En Europe comme en Asie, plusieurs tribus finno-turques, officiellement converties au christianisme, ne connaissent guère d’autre dieu chrétien. Presque toute la religion des Tchou vaches du Volga se réduit en pèlerinages à ses sanctuaires,