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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.
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l’étroitesse d’esprit se manifeste, à mesure qu’il vieillit, par des questions plus puériles, l’autre, plus haut placé, dominant les choses, accoutumé à la politique et aux concessions. Parfois, ils ont les mêmes scrupules : Quels oiseaux est-il permis de manger ? demande Boniface. Les chrétiens, répond le pape, ne peuvent manger ni des geais, ni des corneilles, ni des cicognes. Il interdit surtout, comme particulièrement abominable, la viande de cheval. — Boniface ne sait pas en quel temps il est permis de manger du lard. « Les pères, lui dit le pape, n’ont rien décidé là-dessus ; mais voici le conseil que je te donne : le lard ne doit pas être mangé sans être fumé ou cuit ; toutefois, si quelqu’un en veut manger cru, que ce soit après la fête de Pâques. » — Le plus souvent, le pape se montre plus libéral. Boniface veut savoir si les religieuses peuvent se laver les pieds mutuellement comme les hommes, aux jours prescrits. Réponse : « Oui, car le Seigneur a commandé les ablutions réciproques, et nous avons tous, hommes ou femmes, le même Seigneur. » — Boniface a été obligé de se trouver en la compagnie de méchans prêtres, lorsqu’il a été à la cour des Francs. Il n’a pas eu avec eux de communion spirituelle, mais il a dû se résigner au contact corporel, s’asseoir à la même table qu’eux. Ne sera-t-il pas damné pour cela ? Non, puisqu’il n’a point « consenti à l’iniquité de ces hommes. » D’ailleurs, il faut bien voir les méchans, si on veut les corriger, et souvent on trouve dans l’intimité de la vie, dans la gaîté d’un repas, des oreilles propices où l’on peut insinuer les paroles de vérité. — Boniface ne sait point s’il doit tenir pour prêtres des hommes qui n’ont pas reçu l’ordination régulière : « Assurément, dit le pape, s’ils sont gens de bien et catholiques. » — Un fidèle a été baptisé par un prêtre qui savait fort mal le latin, car au lieu de dire : In nomine patris et filii et spiritus sancti, il a dit : In nomine patria et filia et spiritus sancti. Boniface ne croit pas qu’un baptême soit valable, si les paroles évangéliques n’ont pas été prononcées exactement ; il a donc de nouveau administré le sacrement. Le pape l’en blâme ; un baptême est bon quand il a été donné au nom de la Trinité, et peu importe en cette matière l’ignorance de la langue latine.

Le pape a dû sourire plus d’une fois à la lecture des lettres de son légat, mais il aimait ces questions et cette inquiétude : « Tu veux savoir en toutes choses, lui écrit-il, la doctrine de la sainte église catholique, apostolique et romaine ; c’est bien ! » Avec une joie visible, il assiste à la fondation de l’empire pontifical, car cette organisation qui s’achève a plus de prix à ses yeux que la conversion des infidèles. Ce sentiment se trahit en toute naïveté dans une lettre de félicitations qu’il adresse à Boniface : « Je vois par les lettres de ta fraternité que notre Dieu a daigné, par tes efforts et par ceux