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administration réglée, d’un empire qui comprendrait tous les chrétiens et serait le symbole visible de l’unité de l’église. Il a fait siéger ensemble des évêques francs et des évêques germains et placé les uns et les autres sous l’autorité du pape ; il a donc uni étroitement la Gaule et cette Germanie qu’il a introduite dans la communauté chrétienne de l’Occident. Il a préparé le terrain où se rencontreront, pour s’accorder d’abord et se déchirer ensuite, le sacerdoce et l’empire.

Dans le futur empire, Boniface a marqué la place de la future Allemagne. À la première page des documens de l’histoire de ce pays, il faut mettre cette lettre pontificale : « De par l’autorité du bienheureux Pierre apôtre, nous décrétons que la susdite église de Mayence est. dès aujourd’hui, et demeurera jusqu’à la fin des temps la métropole et celle de tes successeurs. Elle aura au-dessous d’elle cinq diocèses : ceux de Tongres, de Cologne, de Worms, de Spire et d’Utrecht, et toutes les nations de la Germanie à qui ta fraternité fera connaître par sa prédication l’église du Christ. » Cela veut dire que la Germanie n’est plus une expression géographique qui désigne un ensemble de peuples barbares et inconnus : elle est une province de l’église romaine. C’est à ce titre et sous cette forme qu’elle entre dans l’histoire. Il y a eu un évêque en Germanie avant qu’il y eût un roi allemand, et ce roi procède de ce prêtre. L’Allemagne attendra encore plus de dix siècles après la mort de Boniface une capitale politique : Boniface lui a donné une capitale ecclésiastique. Mayence jouera dans l’histoire de l’Allemagne un rôle plus grand que Reims dans la nôtre. Aucun ange n’y a porté dans une sainte ampoule l’huile à sacrer les rois, mais l’évêque de Mayence, dont la province s’étendra jusqu’à l’Elbe et au Danube, représentera bientôt l’unité de l’Allemagne et le droit de ce pays à vivre d’une existence distincte. Il sera le grand électeur des rois allemands, le grand chancelier de l’empire. La puissance de l’église en Allemagne, l’autorité politique et la richesse de ces archevêques, évêques et abbés qui posséderont une grande partie du territoire, le caractère ecclésiastique de la royauté allemande et du « saint empire romain de la nation teutonique, » tous ces phénomènes étranges, qui traverseront les âges, ont pour cause lointaine la mission de Boniface.

L’œuvre est de telle importance que l’historien doit se demander si elle a été bonne de tous points. Était-il nécessaire que ce légat du pape levât sa férule sur le berceau de l’Allemagne ? Ces irrégulières églises populaires étaient-elles capables et dignes de vivre ? Que serait devenu ce christianisme abandonné à lui-même ? Se serait-il accommodé aux caractères divers des pays et des peuples, en gardant comme principes essentiels l’idée de l’unité divine et