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REVUE. — CHRONIQUE.

ou opportun de s’essayer à une sorte d’impartialité ; il a eu l’air de témoigner quelques velléités timides, enveloppées de conciliation, et de vouloir non pas, certes, nouer alliance avec la droite, mais traiter les conservateurs avec mesure, en appelant les hommes de bonne volonté à une certaine participation active aux affaires publiques. C’était aussi modeste, aussi vague que possible. À l’instant même, le chef des radicaux parlementaires, M. Clemenceau, s’est levé pour rappeler à l’ordre le chef du cabinet, en lui faisant sentir l’aiguillon, en lui demandant d’un ton net et tranchant compte de ses paroles, — et M. le président du conseil, il faut l’avouer, s’est exécuté aussitôt. Il s’est hâté d’expliquer, d’atténuer son langage, de désavouer toute pensée d’alliance avec les conservateurs, de rappeler ses titres à la confiance des radicaux. M. le président du conseil est rentré dans l’ordre, il ne veut pas être suspect !

C’est l’histoire d’une certaine classe de républicains qui jouent vraiment un singulier rôle avec leurs instincts vagues de modération et leurs servitudes de parti, avec leur prétention à être des hommes de gouvernement et leurs perpétuelles complaisances pour tout ce qui est révolutionnaire. Ils sont quelquefois bien embarrassés. Au fond, ils sont tout prêts à en convenir, ils avouent qu’on est peut-être allé trop loin dans les concessions, qu’on a donné trop de gages au radicalisme, à l’esprit de subversion qui agite tout, qui prétend tout réformer et ne réussit qu’à tout bouleverser ; ils ne demanderaient pas mieux que de s’arrêter, de ramener la république à des conditions plus régulières et plus sérieuses, de tenir plus de compte des résistances et des vœux d’une partie du pays, de s’entendre au besoin avec les plus concilians, les plus modérés des conservateurs pour former avec eux une majorité de raison. Ils le voudraient, mais ils n’osent pas avouer tout haut ce qu’ils pensent et surtout conformer leur conduite à leur pensée ; ils craignent toujours d’être soupçonnés et excommuniés, de passer pour des réactionnaires, pour des cléricaux ou des orléanistes, — et, à la première occasion, ils se rejettent dans le courant troublé, ils se laissent entraîner ou enchaîner par les radicaux, qu’ils suivent avec des mouvemens intermittens de mauvaise humeur, en ayant l’air de regimber quelquefois pour finir à peu près invariablement par se soumettre. Qu’une élection se présente, s’ils ont à choisir entre deux candidats, ils se garderont d’adopter le conservateur, fût-il des plus modérés, ils se rallieront au radical, fût-il un excentrique du radicalisme ou un socialiste. C’est ce qu’ils font dans l’Eure, où il y a un successeur à donner à M. Raoul Duval ; c’est ce qu’ils vont faire dans la Haute-Garonne, où ils mettent leurs espérances dans le plus bizarre des candidats, un ancien conseiller municipal socialiste de Paris, dont la nomination a été annulée parce qu’il n’avait pas de domicile. Que voulez-vous ? c’est la discipline qui le veut ! c’est la loi de la concentration républicaine, et avec cela on vote pour M. Basly et M. Camélinat, qui fomentent les