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REVUE. — CHRONIQUE.

ment l’autre jour de leur ouvrir les bras ; ce n’est pas là peut-être une solution ! On prétend imposer aux conservateurs de commencer par faire un acte solennel de foi à la république reconnue comme le gouvernement nécessaire et définitif de la France ; mais c’est là l’éternelle question, À quelle république veut-on que les conservateurs fassent leur acte de foi ? La première condition est justement de prouver que la république a des élémens de stabilité, qu’elle ne conduit pas le pays à la ruine et aux divisions, qu’elle peut être un régime d’équité et de tolérance, qu’elle sait respecter les croyances, qu’elle n’est point exclusive. C’est tout le contraire qu’on fait, et on vient de le prouver une fois de plus par cet incident du choix de la commission du budget.

C’était, à ce qu’il semble, l’occasion la plus simple, la plus naturelle de montrer un certain esprit de conciliation. Rien n’était plus convenable et même plus prévoyant que de faire aux conservateurs du parlement une part équitable dans une commission chargée de l’œuvre difficile et laborieuse de la réparation des finances, du rétablissement de l’ordre dans le budget de la France. On a paru un instant le comprendre ; mais on voulait admettre les conservateurs comme par grâce et par tolérance, comme des invités au bout de la table, en leur faisant une place un peu moins grande qu’aux radicaux et même à la gauche la plus extrême. Les conservateurs ont naturellement refusé l’invitation. Il en est résulté que la nouvelle commission du budget est encore une fois un vaste amalgame où les républicains modérés ont la chance d’être dépassés et entraînés par les radicaux. — De quoi peut-on se plaindre ? dit-on, c’est la loi des majorités, c’est la règle souveraine des régimes parlementaires ; les conservateurs ne sont qu’une minorité, ils n’ont aucun droit ! On ne s’aperçoit pas que c’est là la théorie du despotisme le plus redoutable, et que c’est avec ces idées qu’un parti momentanément dominant peut exclure et épurer à outrance. Les majorités ont sans doute le droit de gouverner ; elles n’ont pas le droit de former dans l’état une tyrannie exclusive et jalouse, de ne point tenir compte des vœux, des intérêts d’une partie considérable du pays, des 3 500 000 voix que représente la minorité conservatrice de la chambre. Avec ces fantaisies, avec ces passions, on fausse tout, on n’arrive à rien, voilà ce qu’il y a de plus clair, et c’est ainsi qu’après les vacances on reviendra au parlement sans avoir rien fait ni pour la paix morale, ni pour la préparation d’un nouvel ordre financier, ni pour la fixité du gouvernement de la France.

Autant les affaires de l’Europe semblaient agitées et obscures il y a quelques mois, il y a quelques semaines encore, autant elles paraissent aujourd’hui tendre à s’apaiser et à s’éclaircir. Avec l’hiver, les troubles ont un peu passé. On a traversé comme on l’a pu, aussi bien que possible après tout, ce que M. le président du conseil, il y a quelques jours à peine, appelait modestement et prudemment : « une crise