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l’Italie avec les empires du centre ? Le ministre négociateur lui-même a-t-il senti ou compris qu’il n’avait qu’une mission, et que, cette mission une fois remplie, il n’avait plus qu’à s’effacer ? Toujours est-il que ralliance aurait été effectivement signée, dit-on, dans ces dernières semaines, que la crise a recommencé sur ces entrefaites, que M. de Robilant a quitté la scène sans être retenu, et que M. Depretis, plus que jamais maître de la situation, n’a plus songé qu’à refaire son ministère en cherchant des alliés et de nouveaux collègues dans la gauche. Ce n’est pas encore cependant du premier coup et sans quelques efforts que le vieux Piémontais, qui est depuis si longtemps le conseiller presque invariable du roi Humbert, est arrivé à s’entendre avec les principaux chefs de la gauche, M. Crispi, M. Cairoli, M, Zanardelli, M. Picotera. S’il consentait à partager le pouvoir, il n’entendait pas le livrer tout entier à ceux que, dans le langage parlementaire, on appelle les pentarques.il a fini par réussir dans ses laborieuses négociations en faisant une assez large part à ses nouveaux alliés. Les ministres qui disparaissent sont M. de Robilant et avec lui le général Ricotti, le garde des sceaux M. Tajani ; les nouveaux ministres sont M. Crispi, M. Zanardelli, et avec eux M. Saracco, qui est d’une nuance plus modérée, — sans parler du général Bertole-Viale, qui devient chef de l’armée et qui n’est qu’un militaire. C’est ce qu’on peut appeler un changement de front sur le champ de bataille parlementaire. M. Depretis est un.habile et rusé tacticien, expert à jouer avec les partis. Depuis quelques années, il s’était sensiblement rapproché de la droite, du camp modéré, qui l’a plus d’une fois soutenu ; il revient aujourd’hui vers la gauche. Il reste plus que jamais et toujours chef du gouvernement en gardant ses amis ministériels et en désarmant l’opposition qui le menaçait le plus, — en prenant pour sa part la succession de M. de Robilant, la direction des affaires étrangères dans le cabinet qu’il vient de réorganiser.

C’est fort bien ! M. Depretis a manœuvré habilement, en homme rompu à la stratégie des partis. La crise italienne est dénouée au moins pour quelque temps, peut-être pour cette session, qui n’a été qu’interrompue et qui va se rouvrir d’ici à peu de jours. Que fera maintenant ce ministère ainsi reconstitué ? que représente-t-il ? Il est peut-être moins nouveau en réalité qu’en apparence. Il pourra essayer d’être un peu plus accentué dans la politique intérieure s’il veut garder l’appui des autres chefs de l’opposition, comme M. Cairoli, M. Nicolera, qui restent en dehors du gouvernement ; il ne s’est pas formé pour modifier la direction de la politique extérieure, et son premier acte, à ce qu’il semble, est de ratifier, d’accepter la situation diplomatique telle que M. de Robilant l’a faite avec le concours du président du conseil lui-même. Il s’est hâté de mettre la triple alliance dans son pro-