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Enfin, il résumait tout par cette métaphore qu’il affectionnait : « C’est l’heure du berger qu’il ne faut pas négliger, si l’on veut m’avoir[1]. »

Venant de regretter, comme je me suis cru en droit de le faire, que le cabinet français n’ait pas saisi, lui aussi, l’occasion de mettre à profit pour son propre compte les prédilections conjugales de Marie-Thérèse, je n’aurais pas le droit de blâmer Frédéric précisément d’avoir fait preuve de l’esprit politique qui manqua, suivant moi, aux ministres de Louis XV. Sans doute, la loyauté exigeait que ce genre de marché ne fût ni conclu ni même engagé sans que tous les alliés fussent prévenus et appelés à y participer ; mais à ce reproche près (auquel Frédéric eût été certainement peu sensible), il est impossible de ne pas rendre hommage à la promptitude de coup d’œil qui lui permettait de se retourner ainsi sur place, dans une circonstance aussi imprévue, surtout quand on vient d’être témoin de l’indécision et du trouble qui régnaient à la même heure dans les conseils de Versailles.

Ce qui donnait à Frédéric l’espoir de faire accueillir ses ouvertures du cabinet anglais, c’était, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer, la modification que ce cabinet même venait de subir et qui paraissait inspirée par des sentimens pacifiques. Il faudrait entrer dans des détails qui seraient ici déplacés sur le mouvement des partis en Angleterre, et même avoir pénétré plus avant que je n’ai pu le faire dans les coulisses du parlement pour bien faire comprendre quelles étaient la nature et surtout la mesure de cette modification ministérielle. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en moins de deux ans, un revirement tel s’était opéré dans l’opinion britannique, que, tandis que Walpole avait succombé pour avoir hésité trop longtemps à prendre la défense de Marie-Thérèse, ses successeurs, en butte au reproche contraire, étaient mis violemment en cause pour avoir engagé trop avant, au service d’une politique allemande, les troupes et surtout les finances de l’Angleterre. Le principal accusé était le ministre des affaires étrangères, lord Carteret, appelé, depuis son entrée au cabinet, à la succession du titre de comte Granville. Cet habile courtisan avait su entrer dans la faveur royale presque aussi avant que Walpole lui-même, mais par le même procédé, disait-on, c’est-à-dire en prenant au détriment des intérêts de l’Angleterre ceux du patrimoine de la maison de Brunswick. On lui reprochait en particulier de consacrer à la solde des troupes hanovriennes la plus grande partie des subsides dont le parlement le laissait disposer, tandis que l’électorat, si cher au cœur de George II, maintenu dans une neutralité prudente, ne contribuait

  1. Frédéric à Podewils et à Andrié, 26-27 janvier 1745. — Pol. Corr., t. IV, p. 26-27.