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Londres, de La Haye, de Munich et même de Pétersbourg. Il n’en pouvait guère être autrement, aucun secret n’étant jamais longtemps gardé par des gouvernemens soumis aux conditions d’une large publicité, comme l’étaient déjà à cette époque ceux d’Angleterre et de Hollande. Les gazettes très bien informées de ces deux contrées ne pouvaient manquer de faire remarquer à leurs lecteurs les assiduités du ministre Andrié auprès de lord Harrington et du jeune Podewils, envoyé prussien à La Haye, auprès du pensionnaire et des principaux membres des états-généraux ; il n’en fallait pas davantage pour que le très habile chargé d’affaires que la France gardait encore en Hollande, l’abbé de La Ville, prenant l’éveil, surveillant de près et pressant de questions son collègue, remarquât son air contraint, ses discours embarrassés et entortillés, ses réponses insuffisantes, et signalât à Versailles tous ces indices d’une défection mal déguisée.

A ces indiscrétions inévitables s’en joignaient d’autres calculées, parties de Vienne même, où Marie-Thérèse, qu’il avait bien fallu informer des ouvertures de Frédéric et qui n’avait nulle envie d’y accéder, était, au contraire, très empressée de publier tout ce qui pouvait semer la discorde entre ses ennemis : elle y était, sous main, aidée par le roi George, qui, détestant plus que jamais son neveu, était de plus bien aise de contrecarrer les dispositions semi-pacifiques de ses ministres. Dans de telles conditions, si d’Argenson avait voulu tenir la preuve en main des manœuvres de Frédéric, il n’avait qu’à ouvrir l’oreille et à laisser venir les révélations qui frappaient en quelque sorte de tous les côtés aux portes de son cabinet. Il n’y avait pas jusqu’au ministre saxon, le comte de Brühl, qui, pendant qu’il tenait Valori à distance avec une réserve si hautaine, envoyait son secrétaire de légation à La Haye, auprès de l’abbé de La Ville, pour lui offrir de lui faire connaître le texte même des offres de Frédéric et lui demander si, au lieu de laisser renouveler la trahison de Breslau, il ne conviendrait pas mieux à la France d’user de légitimes représailles, en ne songeant plus qu’à ses propres intérêts et en abandonnant aux justes rigueurs du sort un homme qui faisait métier de tromper tout le monde. Cet émissaire secret ajoutait (et le fait n’était pas faux) que l’irritation et la méfiance étaient générales en Europe contre Frédéric depuis sa dernière équipée, et le prestige de ses armes très compromis par leur mauvais succès en Bohême ; que personne ne se souciait plus de traiter avec lui ; et il finissait par insinuer clairement que la France obtiendrait pour elle et ses protégés de bien meilleures conditions si, au lieu de s’obstiner à garder un si mauvais allié, elle laissait tomber une grandeur improvisée qui semblait ne