Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle-même de se détacher à des conditions qui n’avaient rien d’excessif. Aussi, à partir de ce moment, se dit-il, sans plus d’hésitation, non-seulement l’intermédiaire, mais l’avocat, auprès de ses collègues, des demandes de Frédéric, et il en eût assuré le succès si le roi d’Angleterre (plus passionné que jamais, comme je l’ai dit, contre son neveu) n’eût opposé une résistance dont lui-même, très mal noté dans la pensée royale, était moins que tout autre en mesure de triompher. Un instant, cependant, on put croire que le coup était fait, et que le ministre anglais à Vienne allait être chargé de promettre à Marie-Thérèse la voix électorale de Brandebourg pour le grand-duc, en échange de l’abandon de toute idée de recouvrer la Silésie. Tout paraissait convenu, et déjà Frédéric s’inquiétait de savoir comment il insinuerait l’affaire au roi de France ; mais, à ce moment même, un événement qu’on pouvait prévoir, mais qui devançait et dépassait l’attente commune, vint porter à un si haut degré la confiance déjà très exaltée de la reine qu’on ne pouvait plus lui proposer, avec une chance de succès, la plus modeste concession. « La couronne impériale sans la Silésie, avait-elle répondu à la première insinuation qui lui fut faite dans ce sens, ne vaudrait pas la peine d’être portée[1]. » Chesterfield se borna alors à faire venir chez lui le ministre prussien et à lui déclarer que, toute sa bonne volonté devenant inutile, il ne pouvait qu’engager son maître à songer à ses propres intérêts et à se mettre promptement en défense, en attendant que ses amis de Londres trouvassent une occasion favorable pour le servir.

Cet incident, qui fermait pour le moment l’ère des négociations, c’était la capitulation du jeune électeur de Bavière, qui, en se rendant à l’Autriche à discrétion, lui livrait la suprématie sur toute l’Allemagne méridionale, et ne laissait plus même à la France un prétexte légal pour lui disputer le terrain. C’est ce que je dois maintenant exposer brièvement[2].


DUC DE BROGLIE.

  1. Robinson à Carteret, 12 avril 1745. (Correspondance de Vienne. — Record office.)
  2. Frédéric à Podewils, 2 avril 1745. Pol. Corr., p. 98-101. — Histoire de mon temps, chap. XI. — On ne trouve pas de trace dans les correspondances du conseil donné par Chesterfield par l’intermédiaire du jeune Podewils. C’est Frédéric qui le mentionne dans son histoire. Il impute l’impuissance de Chesterfield seulement aux engagemens du traité de Varsovie, mais les correspondances de Chesterfield lui-même avec Harrington (Record Office) indiquent l’effet considérable produit à ce moment par la soumission de l’électeur de Bavière, à laquelle on ne s’attendait plus, les conditions exigées par l’Autriche ayant paru trop dures pour pouvoir être acceptées.