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pas par s’apercevoir qu’on tourne toujours dans le même cercle, qu’on n’arrive à rien, parce qu’on ne peut arriver à rien dans une situation où tout est confondu, altéré et faussé. Le mal réel, profond, est effectivement dans ce fait que, depuis longtemps, il n’y a pas et il ne peut pas y avoir de gouvernement, parce que tout est livré à l’aventure, aux tyrannies frivoles ou intéressées de l’esprit de parti, à ces entraînemens qui font qu’à tout propos, en toute circonstance, les républicains prétendus modérés, ceux qui ont quelque idée d’une administration régulière, se croient obligés, sous prétexte de discipline, d’abdiquer devant le radicalisme, devant une politique de subversion universelle. Et il n’y a point à aller chercher bien loin les exemples, ils sont de tous les jours, ils se reproduisent à peu près invariablement toutes les fois qu’un scrutin s’ouvre dans une région de la France.

Il y a eu, il y a quelques jours, une élection dans la Haute-Garonne, à Toulouse. La lutte s’est trouvée concentrée entre un candidat conservateur, dont les opinions n’avaient certes rien d’excessif, rien de menaçant pour la république, et un candidat, ancien membre de la commune, radical, socialiste, révolutionnaire avéré. De quel côté se sont tournés ceux qui se disent des républicains de gouvernement? Ils sont allés droit au candidat révolutionnaire. Il y a même une association assez prétentieuse, formée sous le nom du « centenaire de 89, » qui ressemble un peu à une vieille douairière républicaine, et qui a cru devoir se mettre de la partie. Elle a paru d’abord avoir quelques scrupules, elle a fait des façons : elle n’a pas tardé à se mettre au pas, en se prononçant pour le candidat socialiste. Et la république a été sauvée à Toulouse, la chambre ne compte qu’un radical révolutionnaire de plus, avec l’aide des modérés républicains! Il y a eu tout récemment à Paris des élections municipales, qui vont être prochainement complétées. Par elles-mêmes, ces élections ne laissent pas d’avoir leur intérêt. Scrutées de près, elles prouveraient peut-être qu’au fond, dans la masse de la population parisienne, il y a une certaine lassitude, un certain dégoût de ce conseil turbulent qui règne à l’Hôtel de Ville. Dans beaucoup de quartiers, des candidats conservateurs presque improvisés ont réuni un assez grand nombre de voix. Ceux qui étaient déjà dans le conseil ont retrouvé une forte majorité. D’un autre côté, partout où la lutte est un peu vive, les républicains plus ou moins opportunistes se hâtent de s’effacer devant les radicaux, les autonomistes. On vote pour les autonomistes municipaux de Paris, on vote pour un radical à Toulouse, comme on votait, il y a deux ans, pour M. Basly et M. Camélinat. Que gagnent les républicains qui se disent encore modérés à ce jeu étrange? Sous prétexte de se défendre contre une restauration monarchique qui, en vérité, ne semble pas bien menaçante, ils combattent des conservateurs dont ils partagent souvent les opinions, en qui ils trouveraient des alliés utiles, et ils fraient le chemin