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les cas, ce qui reste un fait avéré et d’une évidente importance, c’est la position reprise par le souverain pontife dans les affaires du monde. Cette position, elle ne s’est pas seulement attestée une première fois, d’une manière ostensible, par l’arbitrage que Léon XIII a été appelé à exercer, il y a quelques années, entre l’Allemagne et l’Espagne au sujet des Carolines; elle a été confirmée, elle s’est étendue et fortifiée bien plus encore depuis quelque temps par le rôle que le pape a accepté dans les crises les plus délicates, par son intervention auprès des catholiques allemands à propos du septennat, par son succès auprès du cabinet de Berlin dans les affaires religieuses. On ne peut pas s’y méprendre, la position du chef de l’église catholique n’est plus ce qu’elle était il y a quelques années encore : elle a pris un caractère nouveau et une importance sérieuse dans les débats européens ; elle est un fait d’un ordre supérieur avec lequel les plus grands gouvernemens se croient obligés de compter.

A quoi est due cette rentrée de l’autorité pontificale dans le mouvement des affaires contemporaines? Évidemment, la première cause est dans le pape lui-même. Léon XIII s’est habilement inspiré du temps où il vivait, de la situation difficile où il était appelé à gouverner l’église. Il a compris qu’à se retrancher dans les revendications et les protestations absolues, dans les théories mystiques, il s’exposait à rester une puissance morale respectée, isolée et sans action réelle. Il a pris son rôle en politique habile et éclairé, prêt à saisir toutes les occasions de servir les intérêts religieux par les transactions opportunes. Après cela, il y a eu certainement aussi une circonstance qui n’a pas peu contribué à cette résurrection de l’influence pontificale dans la politique : c’est que le plus puissant des hommes, celui qui a l’action la plus décisive sur la marche des affaires, M. de Bismarck, a cru avoir besoin du pape. Le chancelier d’Allemagne a senti ce que pouvait toujours cette grande force morale de la papauté, et avec la résolution de son caractère, il est allé droit à Léon XIII : il l’a entouré de ses déférences, il l’a ménagé dans sa dignité, il lui a offert ce qui pouvait le mieux toucher le chef de l’église, la paix religieuse en Allemagne. Que M. de Bismarck ne se soit inspiré que de son intérêt, c’est bien évident ; il a traité le pape en souverain, parce que tel était son intérêt, sans s’inquiéter de ce qu’en penseraient ses alliés les Italiens et les progressistes allemands. Il faut savoir prendre exemple et conseil même d’un ennemi, quand ce puissant ennemi sait ce qu’il fait et ce qu’il veut. M. de Bismarck le disait récemment sans détour : « Il est possible que nous soyons exposés à de rudes épreuves, à des luttes à l’extérieur et à l’intérieur;., en face d’une pareille situation, je suis d’avis que nous devons nous efforcer de mettre fin à toutes les dissensions inutiles... Je crois que nous pouvons fort bien nous passer des disputes ecclésiastiques... » C’est là le secret, — Et c’est ainsi qu’un