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peut juger de ce qui se passait à ses portes. C’était la débandade et la déroute de tout ce qui, de près ou de loin, tenait encore à la France. Le signal de la défection avait été donné par le prince de Hesse même, avant la soumission de l’électeur, pendant la marche triomphale des Autrichiens. Par son ordre et à la suite d’un concert secret avec le général de Marie-Thérèse, les six mille hommes dont ce prince perfide et volage trafiquait publiquement, et qui avaient passé l’année précédente de l’Angleterre à la France, étaient rentrés chez eux, mettant bas les armes et n’attendant que l’occasion de faire une nouvelle volte-face. L’électeur Palatin et le duc de Wurtemberg, bien que moins pressés de se rallier au vainqueur, firent pourtant savoir que, menacés chez eux et obligés de pourvoir à leur sûreté personnelle, la neutralité leur était imposée et qu’on n’avait plus à compter sur leur appui. Quand les alliés devenaient neutres, les neutres ou prétendus tels ne se mettaient plus en peine de déguiser leur hostilité. Dans les petites cours des bords du Rhin, un joyeux sentiment de délivrance s’épanchait en effusions insolentes. — « Voilà tous mes vœux exaucés, s’écriait l’électeur de Cologne ; » et il se livrait à de bruyantes parties de plaisir, oubliant qu’il portait encore le deuil de son frère, et que c’était son neveu qui venait de signer l’abaissement de sa famille. « C’est un beau manteau que celui de la France, disait en raillant l’électeur de Trêves au résident français ; mais vous connaissez le proverbe allemand, c’est dommage qu’il soit trop court et qu’on voie passer les pieds. » — Quant à l’électeur de Mayence, son attitude était si provocante, que le ministre Blondel dut quitter la ville, laissant à sa place un officier détaché de l’armée du Rhin, qui était autorisé à rendre menace pour menace et appeler la force à son aide si sa sécurité était menacée. Enfin, l’électeur de Saxe, agissant en qualité de vicaire intérimaire de l’empire, sommait par lettres impératives les troupes françaises d’avoir à évacuer le sol germanique, où rien, disait-il, ne justifiait plus leur présence, puisqu’elles cessaient d’avoir, soit à défendre un empereur qui n’était plus, soit à secourir la Bavière qui était pacifiée.

Dans ce soulèvement général, la résidence ou la traversée de l’Allemagne n’étaient plus sûres pour aucun Français, de quelque caractère qu’il fût revêtu : le sort de Belle-Isle les menaçait tous. L’officier-général Courten, revenant de sa mission militaire à Berlin, ne put arriver à Francfort que sous le déguisement d’un voyageur de commerce et en prenant les voitures publiques. Le comte de Sade, retournant à son poste à Cologne, se vit arrêté et emmené par un parti d’Autrichiens dans une petite ville du Palatinat, et ni les magistrats du lieu où la capture avait été opérée, ni le prince auprès duquel il était accrédité ne se soucièrent ou n’eurent le