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anticipée, et en fait, sinon en paroles, un refus catégorique opposé aux exigences de Frédéric. Ce que demandait Frédéric, en effet, c’était au fond tout simplement qu’on mit à sa disposition deux armées françaises, l’une immédiatement pour marcher en droiture sur le Hanovre, l’autre éventuellement pour appuyer et rendre sérieuses les menaces qui devaient être adressées à la Saxe ; en d’autres termes, que le principal effort des armes françaises fût porté de nouveau au cœur de l’Allemagne et engagé au service de la Prusse. Or, du moment qu’une armée royale combattait déjà en Flandre, l’impossibilité de faire droit à une telle demande était évidente et ne souffrait même plus de discussion. Il était clair que là où le roi de France payait de sa personne, là serait toujours et devait être la plus forte et la meilleure partie de ses troupes. Tout ce qui n’était pas mis directement sous ses ordres devait pourtant être conduit et ménagé de manière à rester toujours disponible, et à pouvoir être rallié en cas d’échec pour lui venir en aide. Par cela seul donc que le roi commandait en Flandre, toute autre opération militaire que celle qu’il dirigeait lui-même n’était plus qu’un accessoire exposé à tout instant à être sacrifié au principal. L’incompatibilité entre le parti déjà pris à Versailles et celui que sollicitait Frédéric était manifeste.

Le ministre de Prusse ne pouvait même conserver à cet égard aucune illusion, car Louis XV, en donnant, par sa seule présence, la préférence à la campagne de Flandre sur toute autre, ne faisait que répondre à un sentiment national très vivement exprimé autour de lui. Le dégoût des expéditions allemandes, déjà si général et si profond, ne pouvait qu’être accru et passer à l’état aigu à la suite des derniers événemens. De Flandre on avait déjà vu venir une fois la victoire, on courait volontiers à sa rencontre ; mais d’Allemagne n’arriverait-il donc jamais que des nouvelles d’humiliation et de ruine ? A tout prix on voulait bannir la pensée de ce pays néfaste et en détourner ses regards, et cet élan de l’opinion commune était secondé par des raisons politiques et militaires très solides, que développaient tout haut des juges compétens. — « Les armées du roi ne sont pas assez fortes pour prendre l’offensive à la fois en Flandre et sur le Rhin ; il faut choisir. » — Ainsi s’exprimait, dès le commencement même de l’hiver, un rapport très bien fait, attribué à un ami personnel du maréchal de Saxe, le comte de Lowendal, et écrit sous son inspiration… — « La conduite de l’armée du Bas-Rhin ne doit donc être qu’un jeu qui tienne en suspens et rende inutiles les forces détachées de l’armée ennemie. Mais l’effort doit se faire, de notre part, en Flandre. Agir autrement, ce serait perdre de vue notre objet… Quand nous nous emparerions du Hanovre (continue l’auteur anonyme, parlant ici comme s’il avait eu la confidence ou la