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réciprocité. Puisqu’elle ne permet pas de prendre individuellement un soldat quelconque de la territoriale pour l’incorporer dans l’armée active, on ne pourrait, sans violer à la fois la loi et le droit, prendre individuellement ou collectivement des médecins de la territoriale pour les incorporer dans l’armée active. Je sais bien que beaucoup de personnes se diront : le médecin des ambulances n’est pas exposé au feu de l’ennemi. On peut tout d’abord leur répondre qu’elles se trompent, car nous ne sommes plus au temps des armes et des canons à courte portée[1]. Laissons de côté cette raison, qui importe peu. Quand le pays en a besoin, le médecin comme le soldat donne sa vie à la patrie ; mais ce qui importe dans une loi, c’est le respect des droits de chacun, et ces droits ne seraient pas respectés si, pour les médecins, seuls entre tous les citoyens, on supprimait purement et simplement, et sans compensations suffisantes, la distinction entre le service de la territoriale et celui de l’armée active.

Je dois aussi, dans le même ordre d’idées, signaler la possibilité de l’interprétation abusive des articles 146 et 198 de la nouvelle loi organique. L’article 146 est ainsi conçu : « En cas de mobilisation, les unités de l’armée territoriale peuvent être affectées à la garnison des places fortes, aux postes et lignes d’étapes, à la défense des côtes, des points stratégiques ; elles peuvent être aussi formées en brigades, divisions et corps d’armée destinés à tenir campagne. Enfin, elles peuvent être détachées pour faire partie de l’armée active. » L’article 198 se prête mieux encore à un abus d’interprétation : « Indépendamment des unités territoriales (infanterie, cavalerie, artillerie, génie, train) visées dans les deux articles précédens, le ministre de la guerre peut utiliser, suivant les besoins de la mobilisation, les ressources fournies par l’armée territoriale pour constituer d’autres unités. »

Certes, pour les législateurs qui auront à voter ces articles, à ce mot d’unités se rattachant l’idée de bataillons, de régimens, de brigades, etc., ils n’hésiteront pas à les voter, puisque les circonstances peuvent être telles que cette incorporation à l’armée active, d’un nombre plus ou moins grand d’unités de l’armée territoriale, s’impose comme une nécessité de la défense nationale. Toutefois, la dernière phrase de l’article 146, rapprochée de l’article 198 et du texte de l’article 7 du règlement sur le service de santé, cache

  1. Dans la dernière guerre, celle de Turquie, 1877-78, la mortalité par 1,000 hommes d’effectif a été de 108 pour le génie, 92 pour l’infanterie, 86 pour l’artillerie ; elle a été de 136 par 1,000 pour le personnel des ambulances volantes de division, de 212 par 1,000 pour le personnel des hôpitaux temporaires, au total de 174 pour 1,000, presque le triple de la mortalité moyenne des combattans. C’est qu’aujourd’hui, au danger du feu de l’ennemi, se joint comme par le passé celui des épidémies.