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et la profondeur des lésions, sur l’opportunité de telle opération ; tantôt le chirurgien chargé du traitement pense que, par une opération délicate, difficile, on pourrait sauver la vie du malade, ou lui conserver un membre gravement blessé ; mais cette opération, il ne l’a jamais faite, et il n’ose pas l’entreprendre, dans la crainte de ne pouvoir la terminer. Ah ! si on avait sous la main, comme dans l’armée allemande, un des maîtres de l’art, on l’appellerait, on lui demanderait conseil, et si ce chirurgien consultant jugeait l’opération utile, il ne craindrait pas de l’entreprendre, parce qu’elle lui est familière, parce qu’il possède à la fois l’esprit qui conçoit, la main expérimentée qui exécute. Grâce à lui, on sauverait la vie de ce pauvre soldat, voué fatalement à la mort ; par lui, on sauverait ce membre qu’une amputation brutale va abattre. Mais ces maîtres de l’art, on ne les a pas, car la loi militaire française les chasse de l’armée, et si elle les y admet, elle les réduit à l’impuissance, car elle les réduit à une infime situation subalterne. Si elle fait cela, c’est parce qu’il ne faut pas que le médecin civil, incorporé dans l’armée, puisse jamais égaler et encore moins primer un médecin militaire ; parce qu’il faut sauvegarder, ménager l’amour-propre des médecins de l’armée. Et c’est pour obéir à de pareilles considérations que l’on annihilerait les efforts des médecins civils mobilisés, que l’on sacrifierait, quand on pourrait les sauver, ces pères de famille, ces jeunes hommes, ces enfans qui, pour obéir moins à la loi militaire qu’à l’appel de la patrie, iront en si grand nombre exposer leur vie sur les champs de bataille et arroser de leur sang le sol sacré qu’ils doivent défendre ! Non, cela ne peut être, une loi pareille ne saurait exister.


LEON LE FORT.