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l’Autriche et se flatta quelque temps de l’avoir obtenue ; mais elle eut le grand tort d’être malheureuse, et, comme le disait le duc de Gramont, on ne s’allie pas à la déroute. Les explications que fournit M. de Beust, dans ses Mémoires, sur sa conduite en 1870, sont aussi louches que le fut sa conduite elle-même. Il faut convenir que sa situation était fort difficile, fort délicate. On soupçonnait ce Saxon de n’avoir accepté les fonctions de chancelier de l’empire austro-hongrois que dans l’intention de prendre un jour une éclatante revanche sur la Prusse, de venger à la fois le désastre de sa politique, le naufrage de ses espérances et son injure privée. Mais l’opinion était peu favorable à ses projets. Les Allemands de Vienne s’étaient bien vite réconciliés avec leur défaite et désiraient vivre en paix avec les Allemands de Berlin. D’autre part, les Hongrois, qui avaient dû leur délivrance aux malheurs de l’Autriche, n’entendaient pas l’aider à reconquérir sa situation en Allemagne. Pour que M. de Beust pût ramener l’opinion, gagner la foule à ses secrets désirs, il fallait une occasion favorable. Si elle s’était présentée, son esprit ingénieux en eût tiré parti ; mais il n’était pas dans son caractère de la faire naître. Cet improvisateur n’était point l’homme des longs desseins suivis et des savantes préparations, ni un de ces grands politiques qui maîtrisent les événemens et s’en font obéir. Il ne savait pas faire violence à la fortune ; il coquetait avec elle et attendait l’heure du berger, qui n’est jamais venue.

Il convenait à M. de Beust, en écrivant ses Mémoires, de persuader à l’Autriche, devenue l’alliée de la Prusse, que, s’il était resté au pouvoir, sa politique n’aurait pas différé sensiblement de celle du comte Andrassy, que M. de Bismarck aurait trouvé dans M. de Beust un partenaire aussi sûr que Adèle. Il se défend d’avoir jamais en les arrière-pensées qu’on lui prêtait, d’avoir jamais songé à une guerre de revanche. Il affirme qu’en 1870 sa conduite fut nette et résolue, et il argumente en avocat subtil, qui môle adroitement le faux au vrai. Il a raison de dire que, jusqu’à la déclaration de guerre du 15 juillet, aucun accord ferme n’avait été conclu entre les cabinets de Vienne et de Paris. On avait négocié, une année durant, en vue de nouer une alliance défensive entre l’Autriche, l’Italie et la France. Cette négociation, où M. Rouher d’un côté, M. de Beust de l’autre, étaient « les personnages parlans, » où le prince de Metternich, le comte Vitzthum et le comte Vimercati servaient d’intermédiaires, n’avait pas abouti, et tout se termina par un échange de lettres entre les souverains. M. de Beust ne craint pas d’avancer que l’empereur Napoléon III se souciait peu d’aboutir, qu’il voulait se réserver sa liberté d’action et que, dès 1869, il méditait d’entrer en campagne. M. de Beust savait pourtant mieux que personne que la question romaine avait été le seul obstacle à la