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Aussi les réclamations que la chancellerie impériale s’empressa d’envoyer à l’adresse du cabinet britannique avaient-elles tout le caractère d’un véritable cri de douleur ; mais en Bavière même, et jusque dans l’antichambre du prince, elles ne trouvaient aucun écho. Là comme ailleurs, peuple aussi bien que courtisans et ministres, non moins que généraux, la passion antifrançaise envahissait tout le monde, et on n’était pas éloigné de penser que Belle-Isle de moins, c’était une chance de plus en faveur de la paix, ardemment et à tout prix sollicitée. C’était chez les uns lassitude de souffrir et de combattre ; et, chez les autres, sympathie pour des compatriotes gémissant sous le poids de l’invasion étrangère. L’empereur, assourdi de ces plaintes, qu’on ne se gênait pas pour faire arriver à ses oreilles, se voyait déjà voué à l’exécration de la postérité, comme le traître qui avait vendu sa patrie. « Il me montre, disait encore Chavigny, les notes véritablement empoisonnées qu’il reçoit. Lui et le comte de Torrins sont les seuls Français que nous ayons ici[1]. »

Comment le trouble d’ailleurs n’eût-il pas été général, quand le plus empressé à le répandre était le commandant même de l’armée bavaroise, le maréchal Seckendorf, Autrichien de naissance, éloigné de son pays par une disgrâce, toujours désireux d’y rentrer et peu confiant (non sans raison), soit dans la valeur de ses troupes, soit dans les ressources qu’il pouvait trouver en lui-même pour en tirer parti. Celui-là poussait tout au noir et déclarait tout haut que tout était perdu et qu’il faudrait capituler sans merci, si le secours réclamé de la France n’arrivait pas à marches forcées. Ses pronostics durent paraître réalisés quand, dans les premiers jours de janvier, le général autrichien Thungen avec un petit corps détaché, comme je l’ai dit, de l’armée du prince de Lorraine, passa la frontière bavaroise et vint mettre le siège devant la petite ville d’Amberg. Les forces dont disposait Thungen, n’étant pas considérables, si Seckendorf s’était porté à sa rencontre, il l’aurait assez aisément fait reculer ; mais se croyant nécessaire pour la défense de Munich, il laissa le marquis de Ségur, avec le petit corps français qu’il commandait, tenter seul de faire lever le siège. Ségur fut repoussé avec perte, et les Autrichiens restèrent maîtres d’Amberg et de la contrée environnante[2].

Ce premier revers, qui semblait justifier les plus sinistres pressentimens, fut appris à l’empereur au moment où une lettre

  1. Chavigny à d’Argenson, 26, 30 décembre 1744, 17 Janvier 1745. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. D’Arneth, t II.