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Ce n’est qu’un fait divers, une imagination de reporter. Pour le traiter dans le goût de Baudelaire, vous voyez comme il faut s’y prendre. Ne reculer devant aucun détail : ici des « étoffes lamées, » des « robes parfumées, » des marbres, » des « tableaux, » là « la tête » avec ses « yeux révulsés, » le « tronc nu, » « la chair inerte, » et, pour achever, « un bas rosâtre, orné de coins d’or, et une jarretière. » C’est le Baudelaire sadique.

Troisième procédé : le Baudelaire satanique. À ces expressions grossières, à ces images répugnantes ou obscènes, mêlez maintenant quelques blasphèmes, et, par exemple, pour scandaliser les bonnes âmes, adressez vos prières à Pillardoc ou à Satan :

Toi qui, infime aux lépreux, aux parias maudits,
Enseignes par l’amour le goût du Paradis ;
O Satan, prends pitié de ma longue misère !
Toi qui mets dans les yeux et dans le cœur des filles
Le culte de la plaie et l’amour des guenilles ;
O Satan, prends pitié de ma longue misère !


C’est ce que l’on appelle le christianisme de Baudelaire. « Après les Fleurs du mal, il n’y a plus que deux partis à prendre pour le poète qui les fit éclore, disait jadis le plus fougueux de ses admirateurs, — un autre « diabolique, » aussi lui, — se brûler la cervelle ou se faire chrétien. » Baudelaire ne se fit point chrétien, mais il ne se brûla pas la cervelle, et continua de mystifier le monde. Il avait désormais sa gloire à soutenir.

Au moins s’il était maitre dans l’emploi de ses procédés ! Quiconque de nous fait supérieurement une chose est un homme supérieur en son genre. Mais les vers de Baudelaire suent l’effort ; ce qu’il voudrait dire, il est rare, très rare qu’il le dise ; et, sous ses affectations de force et de violence, il a le génie même de la faiblesse et de l’impropriété de l’expression.

La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendians nourrissent leur vermine.
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches,
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaîment dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.