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corruption de mœurs que Baudelaire croit avoir inventée. Mais s’il veut dire davantage, s’il veut aller jusqu’au bout de cette indication, s’il essaie de traduire ces affinités qu’il nous disait, alors on commence par écrire des vers comme ceux-ci :

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfans,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphans,


qui ne sont pas très éloignés d’être ridicules, et l’on finit par en faire comme ceux-là, qui ne sont point de Baudelaire, mais dont il est bien l’inspirateur, et qui marqueront, je l’espère du moins, avec le dernier excès de sa manière, le terme de son influence :

Dis si je ne suis pas joyeux,
Tonnerre et rubis aux moyeux,
De voir en l’air que ce feu troue,
Avec des royaumes épars
Comme mourir pourpre la rouro
Du seul vespéral de mes chars.


C’est par là surtout que son influence a été dangereuse, et non point par la contagion d’une corruption que les jeunes hommes de son temps n’avaient pas besoin de lui pour la leur communiquer. Mais, ils n’ont pas fait attention que c’était un malade qu’ils prenaient pour guide, un malade qui s’était fait de sa maladie même un moyen d’existence littéraire. En tête de ses Œuvres posthumes et Correspondances inédites on peut voir, et il faut voir, un curieux portrait de Baudelaire. La ressemblance en est frappante avec les images classiques et les représentations consacrées des mégalomaniaques dans nos Traites des maladies mentales. Même attitude, même port de tête hautain et provocateur, même regard, même éclair de défi dans les yeux, même sourire, même contentement, épanouissement, et dilatation de sol. Lui-même aussi bien nous apprend a qu’ayant toujours cultivé son hystérie avec jouissance et terreur, » il a senti, tel mois, et à tel jour, « passer sur lui le vent de l’aile de l’imbécillité. » Si Baudelaire ne fut pas ce que l’on appelle un fou, du moins fut-ce un malade, et il faut avoir pitié d’un malade, mais il ne faut pas l’imiter. Les imitateurs de Baudelaire n’ont pas assez bien vu que la perversité de leur maître ne consistait au fond que dans la perversion de ses sens et de son goût, dans une aliénation périodique de lui-même, dont il est vrai d’ailleurs qu’il avait le tort de se glorifier. Quand Baudelaire n’était pas malade, ou plus exactement