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ne finissent jamais ? Elles ont pu être un moment éclipsées par des affaires plus graves, plus pressantes, qui ont occupé et ému l’Europe ; elles ne restent pas moins un point noir à l’Orient, comme un nuage menaçant obstinément fixé sur les Balkans. Ce qu’il y a provisoirement jusqu’ici de plus apparent, de plus distinct, c’est une sorte d’anarchie où se débat une régence qui ne peut rien, qui n’a qu’une ombre d’existence légale, qui reste abandonnée à elle-même, toujours menacée par les conspirations et les séditions militaires ou populaires. C’est ce qu’on pourrait appeler une situation nouée et inextricable. La Porte, qui se considère toujours comme la puissance suzeraine, a de temps à autre l’air de s’occuper de ce qui se passe dans ces régions des Balkans, où il n’y a plus rien de régulier depuis la disparition du prince Alexandre. Elle a envoyé il y a quelque temps un commissaire ou un plénipotentiaire à Sofia ; elle a essayé de mettre d’accord les divers partis qui se disputent la Bulgarie, de créer une lieutenance avec un ministère de conciliation ; elle n’a visiblement pas réussi, elle l’avoue elle-même. Aujourd’hui, elle s’adresse par une circulaire à tous les cabinets de l’Europe qui ont signé le traité de Berlin, en les pressant de tourner leurs regards vers les Balkans, de reprendre leur œuvre, de chercher d’un commun accord une solution. Or c’est là précisément la difficulté. La Russie, sans se désintéresser certainement de ce qui se passe ou se passera en Bulgarie, se retranche depuis quelque temps dans une expectative énigmatique, calculée et quelque peu menaçante ; les autres gouvernemens, imitant la réserve du cabinet de Pétersbourg, ne paraissent pas pressés de prendre une initiative, de risquer une proposition, et, en attendant, rien n’est possible, ni la reconstitution d’un ordre régulier, ni le choix d’un nouveau prince qui mettrait fin à un interrègne anarchique. La dernière circulaire de la Porte n’aura probablement pas la vertu de trancher le nœud de la question ; elle risque de n’être, pour le moment, qu’une circulaire de plus, un appel inutile adressé à des politiques qui ne veulent pas entendre ou qui choisiront leur heure pour répondre. La vérité est que ces malheureuses affaires bulgares n’auraient été sans doute rien par elles-mêmes ou dans un autre temps ; elles n’ont eu et elles n’ont encore une certaine importance que parce qu’elles remettent en jeu toutes les influences qui s’agitent en Orient, parce qu’elles dévoilent une situation où tous les antagonismes se ravivent. Elles ont eu même pour conséquence, en se prolongeant, de rappeler l’attention sur tout ce qui a précédé la guerre de 1877, sur ce qu’on savait et sur ce qu’on ne savait pas, sur ces négociations mystérieuses entre l’Autriche et la Russie, dont le secret a été récemment divulgué à Berlin. En d’autres termes, les affaires bulgares se trouvent liées intimement aux affaires de l’Occident et dépendent pour ainsi dire de l’état général de l’Europe, des relations incertaines, difficiles, des