Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/749

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi, à une heure encore peu avancée du jour (il n’était que huit heures du matin), le triomphe était complet : les fortifications improvisées par Maurice avaient tenu bon contre toutes les attaques, et le rempart vivant qui les soutenait, quelquefois entamé, mais toujours aisément réparé, n’avait cédé nulle part. Il ne restait plus à Cumberland qu’à se retirer et à reprendre (il en était temps encore) l’attitude prudente que lui avait indiquée Königseck. Mais après une action si présomptueusement engagée et tant de sang déjà versé, l’échec eût été tel que le vieux général lui-même n’osa pas insister pour une retraite, qui aurait en le caractère d’une déroute. Ce fut lui, dit-on, au contraire, qui imagina une manœuvre d’une incroyable hardiesse. Laissant de côté les positions retranchées qu’on n’avait pu emporter, il conseilla de s’avancer entre elles, pour faire une trouée dans l’espace qui séparait Fontenoy du bois de Barry. L’intervalle était trop étendu pour avoir pu être complètement garni de troupes ; mais, en revanche, l’abord en était défendu par la nature même du terrain, dont une déchirure formait à cet endroit un ravin profond, d’un accès naturellement difficile et rendu plus impraticable encore par de grands abattis d’arbres. C’était donc dans ce fond qu’il fallait descendre, par une pente très raide, puis marcher à travers des obstacles sans nombre, sous le feu combiné des redoutes de droite et de gauche, pour trouver ensuite, après avoir gravi la pente opposée, les troupes françaises en armes sur le rebord du ravin, et prêtes à empêcher les assaillans d’y prendre pied. Quelle entreprise ! C’était un véritable coup de désespoir. Mais ce fut peut-être précisément parce que la tentative était condamnée par toutes les règles de la prudence qu’elle faillit réussir. Maurice, en effet, est convenu lui-même que, s’il avait seulement en le soupçon de trouver en face de lui un homme assez osé pour s’engager dans ce passage, il lui eût été aisé, moyennant une redoute de plus-mise en travers, de rendre l’aventure, de très périlleuse qu’elle était, tout à fait impossible. Il avait laissé dans sa ligne de défense une baie trop large, n’ayant pas le souci de prévenir ce qu’il n’avait pas songé à prévoir.

Quoi qu’il en soit, si la conception était d’une hardiesse qui touchait à l’imprudence, l’exécution, grâce à l’impassible fermeté du soldat anglais, fut opérée avec tant de précision et de force que le coup de tête prit l’apparence d’une manœuvre tactique savamment méditée. On vit alors, avec une surprise qui fit bientôt place à l’admiration, une troupe tout à l’heure décimée, et qui paraissait ne plus pouvoir songer qu’à la retraite, se reformer d’abord régulièrement en trois colonnes serrées, puis, faisant un lent mouvement de conversion, s’engager à pas comptés sur des pentes escarpées, dans des chemins creux où on ne pouvait poser le pied sans être en