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stoïque ; on eût dit non deux armées aux prises, mais le génie et l’âme des deux nations. — « La colonne anglaise, dit avec une juste admiration un mémoire du ministère de la guerre, était comme un rocher à miner. Il fallut toute la vivacité, toute la bravoure des troupes, toute l’intrépidité du général pour le faire sauter. » — La comparaison demeura exacte jusqu’au bout, car l’explosion fit voler le roc, non en poussière, mais en éclats, chaque fragment gardant sa dureté propre. Les débris de cet héroïque bataillon, forcés enfin de se mettre en retraite, reprirent par bandes isolées, mais à pas lents et la tête haute, le chemin ardu qu’ils avaient déjà traversé, et leur cavalerie s’approchant à leur rencontre pour les recueillir, Maurice ne crut pas prudent de les poursuivre : il se borna à les faire suivre et harceler par la compagnie des Grassins sur la route d’Ath, par laquelle ils se retirèrent. — « Nous en avions assez, dit-il ingénument, et je ne songeai plus qu’à remettre l’ordre dans les troupes qui avaient chargé. La bataille était gagnée : il était deux heures et demie de l’après-midi[1]. » — Les pertes étaient considérables des deux parts. Chez les Anglais, 9,000 hommes devaient manquer le lendemain à l’appel ; ils laissaient 2,000 prisonniers et 40 canons. Du côté des Français, entre les tués et les blessés, il y eut 6,000 hommes hors de combat, et dans le nombre plus de 400 officiers de tout grade.

Malgré ces pertes cruelles, après une journée si féconde en péripéties et de telles angoisses suivies d’un salut inespéré, il n’y avait place dans les cœurs que pour la joie. Le roi, quittant la colline de Notre-Dame-aux-Bois avec son fils, vint passer devant le front des régimens vainqueurs, salué par un formidable cri d’enthousiasme et de triomphe, au milieu des chapeaux portés en l’air sur les

  1. Les relations de la bataille de Fontenoy sont très nombreuses et concordent pour les faits principaux, quoique différant dans certains détails. Je les ai consultées toutes et combinées, en indiquant seulement en note, dans le cours du récit, les incidens qui ne sont rapportés que par un seul témoignage. Il existe, au ministère de la guerre, un compte-rendu officiel envoyé par le comte d’Argenson, ministre de la guerre, à la reine, et trois lettres du maréchal de Saxe lui-même. Ces divers documens ont été insérés à peu près complètement en appendice au Journal du duc de Luynes, t. VII, p. 161-167, — p. 179-185. — Le duc de Richelieu, dans le fragment de mémoire que m’a communiqué M. de Boislisle, fait lui-même le récit (naturellement tout à fait à son avantage) de son intervention. (Correspondance générale de Voltaire, le marquis d’Argenson à Voltaire, 14 mai 1745. — Histoire de Maurice, comte de Saxe, par le baron d’Espagnac, t. II, p. 49-80. — Voltaire, Histoire du siècle de Louis XV, chap. XV. — Histoire de Maurice de Saxe-Mittau, 1752, t. II, p. 134-148. — Souvenirs du marquis de Valfons, p. 138-152. — Vie privée de Louis XV, Londres, 1781, t. II, p. 241-253 ; consulter aussi Weber, Moritz Graf von Sachsen, Dresde-Leipsig, 1763, ouvrage fait d’après les dépêches des archives de Saxe. — Du Parcq, Biographie du maréchal de Saxe, 1851.)