Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/822

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elles avaient parlé, on eût attendu d’elles un bruit de glas. Beaucoup d’entre nous se demandaient s’ils n’assistaient pas à une fin plutôt qu’à un commencement ; plus d’un infidèle était venu là en se disant : « Ne manquons pas d’aller voir, c’est peut-être le dernier. »

Je reviens à Rome, après ces neuf années ; et ce que j’aperçois tout d’abord sur l’horizon de la ville éternelle, c’est la figure démesurément grandie de ce vieux prêtre. Dans toutes les paroles qui tombent des bouches les plus graves, il n’est question que du pape, de son pouvoir, de sa signification européenne. Il suffit d’ouvrir un journal ou de traverser un salon politique, pour comprendre que le Vatican est à cette heure l’un des principaux centres diplomatiques de l’Europe, celui auquel viennent aboutir le plus d’affaires et des plus considérables. Un envoyé du pape arrive de Berlin, du lieu où la destinée a aujourd’hui ses grand ateliers ; il en arrive comblé d’honneurs, fort de toutes les caresses que les forts lui ont prodiguées ; tous les yeux sont fixés sur cet ambassadeur d’un trône anéanti. L’Italie subit en ce moment une crise gouvernementale des plus laborieuses ; à peine si cette crise détourne l’attention des observateurs étrangers, celle même des hommes d’état du royaume ; elle préoccupe surtout les esprits par ses rapports étroits avec la partie engagée d’une rive du Tibre à l’autre.

Duel silencieux, patient, duel ecclésiastique et italien. Aucun éclat brutal ne le trahit à une vue superficielle ; mais pour peu qu’on en connaisse les péripéties, on le retrouve au fond de toutes les questions. Alors le regard qu’on promène sur Rome, des hauteurs du Pincio, s’attache invinciblement à ces deux palais, Quirinal et Vatican, affrontés sur leurs collines respectives. Charmes et souvenirs de la noble ville, tout s’efface devant l’intérêt du drame invisible. On croit entendre la sape souterraine, cheminant de l’une à l’autre de ces deux lourdes citadelles, les contre-mines et les retours offensifs de l’assiégé, acculé là-bas entre le fleuve et la montagne, à l’ombre de Saint-Pierre. On croit voir les deux adversaires échanger leur défi muet, durant leurs promenades solitaires sur ces terrasses d’où ils peuvent s’entre-regarder, de la loge du Belvédère aux jardins du Quirinal. Les pierres de ces palais ont une singulière éloquence, car elles personnifient deux forces, deux mondes opposés. L’une de ces forces est toute morale, faite de je ne sais quoi qui vaut le canon ; c’est par cela surtout que le drame nous passionne, en dehors même de toute attache de foi. Nous autres gens de France, du moins, nous n’assistons jamais sans passion à la lutte d’une idée pure contre les faits matériels ; alors même que le principe ne nous agrée pas, qu’il s’agisse de l’erreur d’un savant ou du rêve fou d’un