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à toutes ses forces morales, à tous les ressorts du patriotisme ; il eût été déplorable pour elle que son clergé catholique, au dedans et au dehors, ne s’associât pas à cette émotion, Évêques et prêtres ont noblement fait leur devoir de citoyens ; les églises retentissent de prières et d’oraisons funèbres en l’honneur des braves soldats tombés à Dogali. A lire le discours de l’évêque de Crémone, on ne se douterait guère qu’il existe un dissentiment grave entre ce prélat et la patrie si chaleureusement glorifiée. Mais cette explosion d’enthousiasme n’était possible qu’avec la complicité du chef des évêques. Il serait oiseux de multiplier, ces exemples. La vie quotidienne, on le voit, est faite de compromis tacites entre l’église et l’état ; celui-ci demande des services, celle-là va parfois au-devant, l’état est toujours l’obligé. Il est lentement emprisonné dans ce réseau de concessions et d’avances : toile d’araignée, si l’on veut, mais tissée avec trop de patience pour ne pas devenir chaque jour plus gênante. Le royaume et la papauté forment un de ces mauvais ménages obligés de vivre sous le même toit ; l’homme a des torts brutaux, la femme beaucoup de prises sur lui et beaucoup d’adresse à s’en servir ; soit lassitude, respect humain ou horreur du tracas, le seigneur et maître, désarmé devant cette faiblesse obstinée, finit généralement par céder.

Ainsi notre enquête nous amène d’abord à constater la solidité des positions défensives occupées par le souverain pontife, l’habileté tactique avec laquelle il les étend. Ce qu’il est moins facile d’expliquer, mais ce qu’on sent très bien à Rome quand on y observe l’ensemble des affaires publiques, c’est l’intensité du malaise résultant pour le jeune état de cette situation fausse ; c’est la subordination constante de ses autres intérêts politiques à la difficulté principale qui les domine tous.

Une seconde question se pose aussitôt. Quel est l’objectif réel du Vatican ? A quelles conditions désarmera-t-on des deux parts ? Sur cette question si souvent agitée, les conjectures varient à l’infini et sont purement hypothétiques. On affirme qu’il existe dans le sacré-collège trois groupes distincts, auxquels peuvent se rattacher la plupart des dignitaires de l’église, sauf à tenir compte d’un certain nombre d’opinions intermédiaires ou insuffisamment fixées. Le premier comprend les anciens conseillers de Pie IX, intransigeans sur les droits historiques du saint-siège. Le second réunit les esprits plus politiques ou plus hésitans, disposés à chercher une transaction et à se contenter d’un minimum de domaine temporel ; ce serait Rome pour les uns, un quartier de Rome pour les autres, la fameuse bande de terre du Vatican à Ostie, ou toute autre combinaison ; de ce côté, autant de solutions que d’imaginations en branle.