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Le troisième groupe se résignerait à accepter la loi des garanties ; on range dans ce parti quelques prélats assez hardis pour faire bon marché de tout le passé, en se ralliant aux idées du père Curci ; et, d’autre part, quelques vieillards faibles ou besogneux, las de batailler contre l’adversité, irrésistiblement tentés par les stipulations financières de la loi italienne. — Il est impossible de calculer la force respective de ces trois groupes ; nous avons affaire à des personnes très secrètes, la plupart ne se déclareraient qu’après l’événement. Je crois pourtant que la seconde catégorie est de beaucoup la plus nombreuse.

Au surplus, les sentimens de l’entourage pontifical n’ont à cette heure qu’une importance accessoire ; la pensée de Léon XIII est surtout à considérer. Mais cette pensée est trop prudente, trop maîtresse d’elle-même, pour livrer jamais le fond de ses résolutions ou de ses irrésolutions. Chacun s’efforce de la deviner, car on sent bien que pour elle le non possumus est désormais une formule de protocole, encore obligatoire dans les encycliques et les allocutions consistoriales, mais qui ne clôt pas la porte aux négociations et aux espérances modérées. Les vitrines des libraires romains s’emplissent de brochures à sensation sur ce sujet ; elles témoignent de la préoccupation publique. Une de ces brochures, la Pensée intime de Léon XIII confiée à son successeur présumé[1], passe pour refléter des vues en faveur au Vatican. L’auteur suppose un colloque entre le pape et le cardinal destiné à lui succéder. Léon XIII fait un tableau attristé du relâchement de la foi, du progrès des doctrines subversives dans la chrétienté et particulièrement en Italie ; il déplore la lutte politique, legs de son prédécesseur, qui détourne le pasteur du souci exclusif des âmes et le met en opposition avec une partie de son troupeau ; il expose son idéal, une étroite union entre le pouvoir spirituel et les pouvoirs temporels pour refréner les passions anarchiques ; il déclare que le bonheur de sceller l’alliance entre ces deux pouvoirs sur le sol italien ne lui est pas réservé, que son pontificat est encore condamné au non possumus, les temps et les esprits n’étant pas mûrs pour le sacrifice ; mais il exhorte son successeur à faire vaillamment ce sacrifice, pour grouper autour de la papauté toutes les forces morales et conservatrices d’un monde qui menace ruine. Une publication récente de M. de Cesare conclut à peu près dans le même sens ; cet écrivain attend la conciliation d’un parti conservateur qui se reformerait dans le parlement, qui rendrait une retraite plus facile au souverain

  1. Il pensiero intimo di S. S. Leone XIII, confidato al presunto suo successore. Roma, 1887 ; Tipografia Metastasio.